Autonomie vs Institutions


Matisse : Le lanceur de couteau, 1947, Lyon

 

Ou l'indépendance ou l'organisation

Nos représentations sociales imaginent deux pôles, avec, d'un côté, ceux qui préfèrent vivre de manière autosuffisante et autogérée, en répondant à leurs propres choix et nécessités (le mot « autonomie » a ce sens-là, précisément, de loi de soi-même) ; et, de l'autre côté, il y a ceux qui ne se sentent rassurés que sous la protection de structures hiérarchisées, dont l'État.

Bien entendu, entre ces deux pôles extrêmes, une infinité de variantes se développent en éventail comme autant de parties d'un arc-en-ciel. Parmi les partisans de sociétés étatisées, les positions se divisent elles-mêmes entre ceux qui veulent plus ou moins d'État providentiel, au service des citoyens, et ceux qui, tout au contraire, n'acceptent de l'État qu'un arbitrage des règles concurrentielles dans ce qu'ils nomment la liberté d'entreprendre, à ne surtout pas confondre avec la liberté des personnes, ni avec celle des générations qui suivront, ni même celle du bien commun.

Nous vivons des temps où il nous faut choisir notre place auprès des humains

À mes amis qui préconisent la monnaie locale, gage incontestable d'une économie éthique, je réponds que pendant ce même temps, l'économie ultralibérale peut tranquillement accomplir ses mauvais coups, le trafic d'armes, la corruption financière, les paradis fiscaux… À mes amis qui défendent une position de secours immédiat aux désespérés qui fuient la misère et la mort, je rappelle que l'humanitaire est promis à l'échec, à l'impuissance et à l'essoufflement, à l'oubli, tant que nos politiques mondialistes se montreront xénophobes et persécutrices, meurtrières et ségrégatives, tant qu'on n'arrêtera pas la main qui frappe, flics, administrations ou tribunaux.

Il y a dans ces exemples une forme de desenchantement qui restreint l'intelligence collective à quelques happy few, comme si l'efficacité n'était jamais possible au-delà du groupe social choisi, comme si les institutions les plus mortifères étaient fatales, incontournables, inattaquables.

Points aveugles

Derrière ces formes adoptées par mes amis, de fausse rébellion, ou de révolte limitée, je soupçonne en réalité une sorte d'acceptation de fait d'un ordre établi, inique et cynique, sordide.

Je soupçonne dans l'attitude de mes amis un accommodement plus ou moins facile, peu offensif, et, surtout, totalement inoffensif face aux forces dominantes. Je les suppose toujours fascinés par les forces néocoloniales, européo-centrées, occidentales, celles qui font mal, qui maltraitent les personnes et sous-traitent les affaires. Je suppose chez mes amis un appel implicite ou inconscient aux institutions, comme s'ils appelaient de leurs vœux ces fameux « siècles de civilisation » auxquels se réfère toujours le conquérant en désignant l'objectif à piller à ses troupes en armes.

L'affolement

C'est avec ces raisonnements, que beaucoup de mes contemporains, qu'ils soient ou non restés de mes amis, piégés – écartelés – par les urgences et le principe du « moindre mal », ont décidé de continuer de voter, et, même de voter quelqu'un dont il était prévisible qu'il cumulait les mensonges de Chirac et Mitterrand à la fois, l'ultralibéralisme de Sarkozy et Giscard à la fois, le militarisme de De Gaulle et Pétain à la fois, le népotisme des deux derniers empires à la fois.

Cette peur d'avoir à en découdre avec les puissances oppressives leur fait appeler « violence » tout appel à la résistance organisée, tout rassemblement protestataire, toute remise en cause des pouvoirs en place, ne serait-ce qu'au niveau régional, d'où certains d'entre eux tirent des subventions qui les ligotent et les bâillonnent.

Un procès par procuration

Aussi, quand, bien conseillé par des amis connaissant le droit de la presse, je décide de me présenter seul sans avocat devant un tribunal où je suis convoqué pour diffamation, mes amis s'affolent. Ils craindraient l'autonomie qu'ils ne s'y prendraient pas autrement ; ils ne croient pas que je puisse être éclairé par de bonnes sources ; ils cherchent à me convaincre de me ranger derrière un homme de la loi. Mais un homme de la loi commune ne peut rien face à une juridiction aussi exceptionnelle que la 17e Chambre correctionnelle de Paris, où un avocat spécialisé touche des honoraires de 5 000 € hors taxes ! Aucun autre avocat ne serait en mesure de me mettre à égalité face au mastodonte qui vise à intimider les mobilisations citoyennes.

L'affrontement direct

J'ai choisi de me présenter devant le tribunal si je ne parvenais pas à montrer la nullité des poursuites d'AREVA qui se porte partie civile contre moi. J'ai choisi de ne pas demander d'aide financière si je devais être condamné, même à l'euro symbolique (avec tous les frais de justice à ma charge). J'ai choisi de demander à mes amis de rembourser de leurs frais les soutiens qui me sont fournis en amont, avant le procès. Pourquoi ? Parce que je crois que la collégialité a été le ciment de mon énergie, et même un peu la dynamique qui m'a permis de dépasser la maladie quand je me suis rendu compte des 212 pages de pièces à mon dossier, où je demanderai la relaxe. Le travail d'équipe, les informations fournies, les textes étudiés, tout cela m'a soutenu au moins autant que les dons financiers qui m'ont été accordés.

Je veux dire à mes amis ceci :

« Obligé de subir une institution à laquelle j'aurais préféré échapper, j'ai maintenant à rester le plus intègre que je peux, même en consultant, sur la pression de mes amis, un avocat qui n'est pas spécialiste du droit de la presse. Ce genre de concession n'est pas un aveu de faiblesse de ma part ou un abandon de la stratégie de mes conseilleurs de l'ombre, non, ce genre de concession est un pari sur l'avenir : grandir ce fameux éventail des attitudes sociétales, et participer à ma mesure à jeter des passerelles entre ceux qui souhaitent l'autonomie et ceux qui vivent au sein d'institutions dont il nous faut bien, à terme, réussir à se libérer. »

Merci à ceux qui me font confiance.

Seconde cagnotte de solidarité : https://morning.com/c/x0QLuc/Etape-decisive

Je veux réussir au moins autant pour eux que pour moi.

 

Jean-Jacques M’µ,
le 12 août 2016