Pour
le 24ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, le groupe
“Sortir du nucléaire Lot” et l’association
“Gramat Information
Citoyenne” organisaient vendredi 23 avril à Gramat
une rencontre-débat avec Alain Acariès,
secrétaire général d’Avigolfe.
Uranium
appauvri, crime contre l'humanité
« On se retrouvera, je ne sais pas où, je
ne sais pas quand, mais je sais qu’on se retrouvera ».
Docteur Folamour, ou comment j'ai appris à aimer la bombe et à ne plus m'en faire, Stanley Kubrick, 1964.
Maintien de la Paix durable
Rien n’aurait justifié l’engagement d’Alain
Acariès si son fils Ludovic, militaire mobilisé six mois
pour l’opération “Maintien de la Paix”, n’était
pas décédé d’une “longue maladie”
en 1997, quatre ans après son retour de Bosnie. Face au silence
de la grande muette, qui ne veut avouer aucun lien entre la pathologie
et le service de son fils, Alain Acariès se rapproche en 2001
de l’association Avigolfe
– qui regroupe les victimes civiles et militaires des
guerres du Golfe et des Balkans (Bosnie puis Kosovo) – au point
d’en devenir en 2003 le secrétaire général.
C’est donc d’abord un père qui est venu à
Gramat expliquer son combat à une quarantaine de personnes attentives,
mais aussi un militant venu exposer la réalité de l’usage
des armes à uranium appauvri. Ces armes sont bien connues ici,
dans le Parc naturel des Causses du Quercy, puisque le Centre d’Études
Atomique de Gramat étudie les performances des obus et munitions
sur son site de tir à l’uranium (STU), mis en service en
novembre 1987, ainsi que sur le site
Athéna, installé en 1992 pour étudier l’impact
des projectiles UA sur des cibles à une vitesse supérieure
à 2.500 m/s. Plus de 1.000 tirs ont ainsi été réalisés
depuis au moins 1987 (en 1979, la France avait déjà importé,
afin de les tester, une trentaine de projectiles à l’uranium
appauvri fabriqués par les américains), et analysés
sous de nombreux paramètres, pour le compte de la France, en
coopération internationale, et d’autres pays dont l’Angleterre.
Il faut dire que l’UA recèle des intérêts
propres à faire tourner la tête de nos chers docteurs Folamour.
Les armes à uranium appauvri, popularisées comme “anti-bunker”
et vendues comme “frappes chirurgicales”, tirent leur avantage
de l’extrême densité du métal UA et de ses
redoutables propriétés perforantes et incendiaires. Ses
performances, et le fait qu’il soit si abondant et bon marché,
confèrent à l’UA une ‘suprématie’
qui justifie son utilisation dans les obus et munitions… au prix
d’un silence coupable sur ses ‘inconvénients' radioactifs
et radiologiques.
Produit en énormes quantités par l’industrie nucléaire
tant civile que militaire, l’uranium ‘appauvri’ est
le résidu du processus d’enrichissement de l’uranium
qui servira de combustible à nos centrales et de champignon à
nos bombes atomiques. La France dispose ainsi d’un stock de plus
de 200.000 tonnes de cet UA, entreposés entre autres à
Bessines en Haute-Vienne. Notons que l’uranium appauvri peut aussi
être issu d’un retraitement du combustible “usé”
des centrales nucléaires et alors contenir du plutonium et d’autres
radionucléides, sa dangerosité en est alors considérablement
augmentée : la radioactivité du plutonium est environ
200.000 fois plus importante que celle de l'uranium, alors que sa radiotoxicité
est environ un million de fois plus grande.
OTAN
en emporte le vent
En 1992, l’OTAN publiait un “Manuel
sur les principes de sécurité applicables au stockage
des munitions et explosifs militaires”. Un chapitre de ce
document à "diffusion restreinte" – destiné
aux états-majors des armées des pays membres, dont la
France – est consacré aux munitions à l'uranium
appauvri. On peut facilement déduire des préconisations
stipulées pour le stockage de ces munitions, les conséquences
liées à leur utilisation.
On peut y lire que « la combustion de gouttelettes d’uranium
en fusion s’accompagne d’un jaillissement d’étincelles
et de projections permettant à une plus grande partie de la masse
de métal de se transformer en une fine vapeur ou une fine poussière
d’oxyde, qui en cas d’inhalation, risqueront davantage de
pénétrer et de se fixer dans les poumons ».
Il faut donc prévenir tout risque d’inflammation des munitions
– ce qui arrive pourtant inévitablement lorsqu‘elles
sont tirées ! « Il pourrait y avoir des effets radiologiques
ou toxicologiques sur les tissus humains lorsque les personnes inhalent
la fumée chargée d’oxyde d’UA qui se dégage
pendant l’incident ».
En condition réelle d’utilisation, il règne au point
d’impact de l’obus une température de 3.000°
C. Tous les matériaux solides en présence se transforment
alors instantanément en gaz – un phénomène
appelé ‘sublimation’ – et se recombinent en
alliages de métaux et oxydes d’uranium sous forme de nano
particules. Ces minuscules poussières, de l’ordre du millionième
de millimètres, pénètrent dans le corps (par inhalation,
ingestion ou blessure) par le biais des circulations sanguine et lymphatique.
Les rayonnements alpha en particulier vont bombarder les organes sur
lesquels les particules se seront fixées. Les premiers organes
touchés sont les reins, les poumons, les os, le foie, les ganglions
lymphatiques et plus encore le cerveau.
Il est en outre précisé que les oxydes d’UA peuvent
être « remués par des agents naturels ou humains,
comme le vent ou la circulation ». Les particules radioactives
vont, en se disséminant, entraîner cancers et leucémies,
naissances monstrueuses chez les populations locales, punies ad
vitam aeternam – la durée de vie de ces radioéléments
se comptant en millions d’années (la demi-vie de l’U238
est de 4,5 milliards d’années). Le danger concerne tout
le monde, non seulement les militaires – il y a encore des forces
françaises en Afghanistan ou au Sud Liban – mais aussi
les populations civiles, la faune et la flore : « un dépôt
important de poussière d'uranium de l'ordre de quelques g/m2
peut avoir un effet toxique sur les plantes et sur le bétail
en pâture ».
Ce qui n’a pas empêché l’OTAN, d’utiliser
ces armes UA, en 94/95 en Bosnie, puis en 99 au Kosovo, et de voir leur
usage se généraliser et se banaliser : Afghanistan, Irak,
Somalie, Sud Liban et dernièrement à Gaza. On peut dès
lors se demander si la mission de “Maintien de la Paix”
justifie de condamner (sciemment ?) des populations et des territoires
entiers à perpétuité. Sans oublier les lieux, plus
ou moins contaminés, où ces armes sont testées
et mises au point, ni le fait que les poussières voyagent à
travers la planète au gré du vent.
Le site de tir à l’uranium du Centre
d’Études Atomiques de Gramat. PHOTO
DIRE LOT
On aperçoit le socle de positionnement de l’arme devant
le couloir de pénétration du tir, puis la demi-bulle
métallique blanche de 17 m de diamètre et de 30 mm d'épaisseur
où se produit l’explosion.
Des munitions hautement radioactives
Un autre scandale vient plomber le dossier, révélé
en 2001 par le professeur Asaf Durakovic, spécialiste américain
de médecine nucléaire, lorsqu’il a trouvé
dans les urines et les tissus de 16 anciens combattants de la guerre
du Golfe, et ceci 9 ans après le conflit, des traces d’uranium
236, matériau qui n’existe pas à l’état
naturel. L’UNEP (Programme des Nations Unies pour l’Environnement)
a à son tour reconnu que des
traces d’U236 et de plutonium ont été trouvées
en 2000 dans des pénétrateurs à l’UA utilisés
par l'OTAN au Kosovo. L'amiral Craig Quigley, porte-parole
du Pentagone, justifiera
le 25 janvier 2001 que « Les traces de plutonium et d'uranium
236 hautement radioactif décelées dans les munitions à
l'uranium appauvri tirées au cours des conflits en Bosnie et
au Kosovo proviennent de la contamination des usines américaines
qui ont fabriqué cet uranium appauvri ». Cet
UA provient de l’usine de Paducah, Kentucky, contaminées
« durant les années cinquante jusque dans les années
70 » par de l'uranium de retraitement.
Or c’est auprès de la société américaine
Nuclear Metals, Inc (aujourd'hui Starmet) que la
France s’est fournie, via les sociétés CERCA
et SICN, en uranium appauvri pour usiner ses obus flèches.
102 kg ont été ainsi achetés en 1979 (sous la forme
de 30 pénétrateurs destinés à être
testés), 75 tonnes en 1991 et 1.000 tonnes en 1993. Il en résulte
que les obus de 105 mm destinés au char MX30 et ceux de 120 mm
prévus pour les chars Leclerc (contenant respectivement 3,6 et
4,8 kg d’UA) sont également contaminés par du plutonium,
de l'uranium 236 et d’autres radioéléments. Cette
contamination a été confirmée par la Mission Parlementaire
d'Information mise en place en 2001 sous le nom « Guerre du
Golfe : vérité sur un conflit », qui a obtenu,
auprès des laboratoires militaires qui ont analysé ces
obus, l’évidence de la présence d’U236.
Face à cette contamination, Bruno Barillot, auteur pour l’Observatoire
des armes nucléaires françaises (OBSARM) d’une
enquête
sur l’uranium appauvri et d’un dossier sur la production
des armes UA (téléchargeable
en pdf), préconise en 2001 dans un communiqué
de presse, que : « les usines de production des flèches
à l'uranium appauvri (SICN Annecy et CERCA Romans)
ainsi que les sites d'expérimentation des munitions à
l'uranium appauvri de Gramat (Lot) et Bourges (Cher) doivent faire l'objet
d'une enquête approfondie. De plus, les munitions à l'uranium
appauvri produites par la France doivent être démantelées,
les flèches à l'uranium étant entreposées
définitivement dans un site de déchets radioactifs sous
contrôle de l'Agence nationale des déchets radioactifs.
Enfin, les personnels civils et militaires ayant participé à
la fabrication et aux essais des munitions à l'uranium appauvri
doivent faire l'objet d'un suivi médical spécifique ».
À Bourges, la population très inquiète voudrait
bien connaître l’origine des cas de cancers dont le nombre
serait en augmentation. Plus de 1.500 tirs y ont été réalisés
à l’air libre avec ces munitions contaminées. Un
missile à l’UA a même été retrouvé
début 2010 dans un champ, ce qui laisse croire que les essais
continuent encore aujourd’hui. À Gramat, le site de tir
à l’uranium appauvri est situé en terrain karstique,
au-dessus du gouffre de Bèdes où coule la rivière
souterraine des Vitarelles, parcours immergé de l’Ouysse.
Cette rivière et ses affluents alimentent en eau potable de nombreuses
de communes. Le
CEA/Gramat avait avoué un tir raté en 1991. La population
est là aussi en droit de se poser des questions… et d’obtenir
des réponses.
« Il n’est pire sourd que celui qui ne
veut pas entendre,
ne veut pas voir, ne veut pas parler et ne veut pas agir »
Quand la
grande muette fait la sourde oreille
Depuis au moins 1992, le
ministère français de la Défense connaît
les effets de l'utilisation de munitions à l’uranium
appauvri sur les hommes et l'environnement. Des études sérieuses
provenant de plusieurs scientifiques démontrent que l'UA est
un contaminant spécifique, à cause des radiations de faible
niveau produites par les particules alpha qui bombardent les cellules
qui les environnent, après inhalation lors d'explosions des munitions
à l'UA, ou lors d'ingestion via des aliments précédemment
contaminés. L’État français nie pourtant
les conséquences sanitaires en ne reconnaissant pas aux vétérans
les vraies causes de leurs maladies, ce qui contribue à légitimer
l’utilisation des armes à UA sur les terrains de conflits
où ces militaires sont engagés.
Les organismes internationaux qui font autorité en la matière
ne sont ni neutres ni indépendants et jouent de leur position
pour confisquer les analyses sur les effets des armes UA, soit parce
qu’ils sont liés avec le lobby nucléaire comme l’AIEA
(l’Agence Internationale de l’Energie Atomique),
soit parce qu’ils sont largement subventionnés par les
pays producteurs, vendeurs et/ou utilisateurs d’armes à
l’uranium appauvri, comme l’OMS (l’Organisation
Mondiale de la Santé) ou l’UNEP (le Programme
Environnemental des Nations Unies), soit enfin parce qu’ils
sont étroitement liés entre eux par des traités
militaires, comme l’OTAN (l’Organisation du Traité
de l’Atlantique Nord) et le comité Finabel (organisme
supranational des chefs d’états-majors des armées
de terre), qui fait des recommandations
face au danger de l'UA). L’ONU elle-même couvre
en chef de clan cette conspiration du silence menée par ses organes
de tutelle.
L’État français, comme d’autres, se réfugie
derrière la non-expertise de ces instances. Ainsi Nicolas Sarkozy,
alors candidat à l’élection présidentielle,
écrivait en 2007 au Président d’Avigolfe
: « Avant d’envisager d’éventuelles mesures
spécifiques, je souhaite que la matérialité de
pathologies directement liées à ce conflit (guerre du
Golfe de 1991) soit établie sans le moindre doute scientifique.
Les analyses doivent se poursuivre, tant en France que dans d’autres
pays ayant engagé des troupes dans ce conflit. Et, en l’espèce,
seules les preuves médicales et scientifiques permettraient une
adaptation du code des pensions militaires (…) ». Pourtant,
à l’ONU en 2008, la France, les USA et
l’Angleterre, confortés par l’abstention d’autres
pays de l’OTAN et de leurs alliés, ont voté
contre une résolution visant à procéder à
des études approfondies pour disculper ou incriminer, une fois
pour toutes, l’uranium appauvri. Ce refus de connaître équivaut
de fait à… un refus de reconnaître !
Les questions restent ainsi sans réponse. Comme celles soulevées
en janvier 2001 par la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information
Indépendante sur la Radioactivité) dans un dossier
remis au ministre de la défense et au gouvernement français
(téléchargeable
en pdf) et dans un courrier
remis aux parlementaires pour la création d’une commission
d’enquête afin de faire toute la lumière sur l'adoption
par l'armée française des obus à l'uranium appauvri
– UA dont elle rappelle les
enjeux environnementaux, sanitaires et éthiques. Ainsi la
France continue de posséder, et sans doute de vendre, des munitions
de ce type au mépris délibéré des traités
internationaux, et peut continuer de bafouer le protocole de Genève
d’août 1949 qu’elle a pourtant signé, et qui
affirme dans son protocole additionnel adopté le 8 juin 1977
: « il est interdit d’utiliser des méthodes ou
des moyens de guerre conçus pour causer, ou dont on peut attendre
qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves
à l’environnement naturel ».
Le courage d’un père, face à l’État
et à ses intérêts “supérieurs”
– principalement économiques, ne nous leurrons pas –
et son obstination à faire avancer une cause juste (cause toujours),
a touché au cœur d’autres parents présents
ce jour-là à Gramat, et les a convaincus que ce sont leurs
enfants et leurs descendants qui souffriront un jour de ce silence entretenu
sur l’utilisation des armes à uranium appauvri s’il
n’est pas un jour brisé. Un silence, relayé par
nos médias et nos
institutions, qui vaut complicité.
Michel
Lablanquie
pour le groupe “Sortir du nucléaire
Lot”
Gramat, le 12 mai 2010
> Pour
télécharger ce texte (format doc.)
___________________________________________________________
Cet article a
été publié le 20 mai dans le journal bimensuel
"Le Lot en Action"
sous le titre "Gramat, c'est Gramatomique !", coiffé
du chapeau suivant.
et est publié
sur les sites : Le
Lot en Action / Bellaciao
/ Agoravox
Lettre
d'Avigolfe aux députés français
du 25 janvier 2010
Avigolfe, l’association
des victimes civiles et militaires des guerres du Golfe et des Balkans,
aura dix ans d’existence au mois de juin 2010. Elle enregistre
toujours de nouvelles adhésions de personnes atteintes de pathologies
plus ou moins graves, en lien avec leurs activités sur les champs
de bataille. Elle
a acquis la certitude que des militaires français ont pu être
en contact avec des sites ou des cibles bombardés par des munitions
à uranium appauvri. Les pays de l’OTAN et leurs
alliés se sont abstenus ou ont voté contre lorsqu’il
s’agissait de procéder à des études approfondies
pour disculper ou incriminer, une fois pour toutes, l’uranium
appauvri (...)
> à télécharger en format
word (4 pages) / en format pdf (2
pages)
Vous pouvez
imprimer ce document et l'adresser à votre député.
___________________________________________________________
Pour
plus d'informations :
Coalition
Internationale pour le bannissement des armes à l'Uranium appauvri
International Coalition to Ban Uranium Weapons (ICBUW)
- site en anglais
Site
Avigolfe sur le Syndrome des Balkans
Documents
et liens sur l'Uranium appauvri
Commémoration
des bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki
D'Hiroshima
à Bagdad de Joëlle Pénochet