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De la responsabilité des élus
en cas de catastrophe atomique

 

Lettre ouverte à Madame Huguette Tiegna, ex-députée du Lot,
et aux 260 ex-députés favorables au projet de Loi du 19 mars 2024

Madame,

Je viens vers vous en tant que citoyen de la circonscription du Lot dont vous étiez encore dernièrement l’élue, pour vous interpeler sur le nucléaire et la fusion. Pas la fusion promise par ITER – ce dispendieux projet qui ambitionne de construire une bouteille assez solide pour mettre le soleil dedans –, ni celle de l'audiovisuel public, mais celle, que tous les média s'entendent à qualifier de controversée, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les deux organismes en charge de la radioprotection et de la prévention et la gestion d’un risque nucléaire majeur (1) – dont les rôles, hier distincts de gendarmes et de veilleurs, seront demain confondus en une seule entité, juge et partie donc.

Le principe de la fusion ASN / IRSN vient d’être validé par la Loi du 21 mai 2024 relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (2), voulue par le gouvernement pour relancer le nucléaire en allégeant les contraintes et fluidifier (3) le secteur – qui vise en fait à introniser la future Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) qui officiera à partir du 1er janvier 2025. Lui ouvrant la voie, le projet de Loi n°262 (4), présenté et amendé en première lecture à l'Assemblée nationale le 19 mars, avait été adopté par 260 voix pour, dont la vôtre, et 259 contre (5). À une voix près donc. On savait que la sûreté nucléaire ne tenait qu'à un fil, voilà qui vient le confirmer.

Il va de soi que cette voix, la vôtre donc – qui si elle avait été différente aurait fait basculer le vote –, souligne votre responsabilité personnelle particulière dans l’adoption de cette Loi qui va engager notre sécurité globale et collective face à l'occurrence d'un possible accident nucléaire majeur en France. Responsabilité qui vous engage au delà même de votre mandat, tant la temporalité du nucléaire et ses inconvénients nous dépassent (avec un lourd tribut laissé aux générations futures : mausolées radioactifs, déchets immortels, héritage génétique douteux, etc – et si un accident se produisait, des conséquences dramatiques sur la vie, la santé (6) et l’environnement).

La fusion des deux organismes a été voulue, sans doute par un petit comité d'« experts », ou de communicants, pour des raisons qui se limitent au slogan : gagner en efficacité, réduire les délais, accélérer et simplifier les procédures, rendre la communication plus lisible, fluidifier les décisions, ou même, créer une autorité plus forte, plus transparente et plus indépendante. En fait, il s’agit plutôt de faire sauter les garde-fous qui garantissent le respect du contrôle et de l'expertise et de passer outre les signaux faibles qui pourraient freiner la relance de l'atome. Or, avant la catastrophe de Tchernobyl, c’est un schéma de contrôle analogue, très unifié, opaque et fluidifiant qui gérait la construction et l'exploitation des réacteurs nucléaires soviétiques : tout ce qui pouvait accélérer la réalisation du programme était récompensé (7).

Les raisons d'une telle fusion ont été dénoncées par les syndicats des deux entités et rencontré l'opposition de nombre d'élus, d'experts et d'associations (8), reprises et commentées sans pour autant n'apporter de réponses ou d'inflexion – on cite en vrac : délitement de la recherche, de l’expertise scientifique et technique, risques de départs et de pertes de compétences,pression exercée sur les acteurs industriels, pression en matière de délais et de coûts, perte d'indépendance des experts et de transparence à l'égard du public, conflits d'intérêts, désorganisation de la sûreté nucléaire en pleine relance, problèmes de réorganisation...

On vient justement d'apprendre (9) que Pierre-Marie Abadie, le directeur de l'Andra (Agence nationale de gestion des déchets radioactifs) est promis à la présidence de la future ASNR. Mettre sous le tapis les problèmes, comme ce que prévoit de faire l'Andra à Bure avec les déchets radioactifs à haute activité et vie longue, les plus dangereux de l'industrie nucléaire, n'augure pas de la meilleure stratégie pour régler ceux de la sûreté nucléaire.

À noter que dans ce nouvel acronyme, ASNR, le « R » est renvoyé à la ligne. Dans « IRSN », la radioprotection précédait la sûreté nucléaire, la prévention du risque s'imposait à la sûreté. Ici c'est la sûreté qui est prioritaire... et si ça ne marche pas la radioprotection suivra. En cas d'accident, c'est en effet à la future ASNR qu'il appartiendra d'assister le Gouvernement, en particulier en adressant aux autorités compétentes ses recommandations sur les mesures à prendre sur le plan médical et sanitaire ou au titre de la sécurité civile, et de mettre en place, avec les préfectures, le « plan particulier d'intervention » pour le déploiement des secours, les mesures à mettre en œuvre, ainsi que l'information du public et des médias (10).

Alors qu'Emmanuel Macron veut lancer la filière nucléaire (prolongation à 60 ans des réacteurs existants, 6 nouveaux EPR2, peut-être 14 – et pourquoi pas 20 comme le RN le préconise ? –, SMR et petits réacteurs modulaires avancés, programme d’upgrading (augmentation de puissance) du parc actuel, « grand carénage » de La Hague, etc.), il va effectivement falloir en fluidifier des choses, tant il y a de problèmes !

En 2018, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires relevait de nombreuses failles dans la sûreté : recours à la sous-traitance, perte de compétence des exploitants, dilution des responsabilités, pression en matière de délais et de coûts, manque de rigueur technique dans l'exploitation des réacteurs (non-conformités, utilisation extensive du principe dérogatoire de « l'exclusion de rupture »...), vieillissement des installations, faible prise en compte des effets du changement climatique sur la sûreté (baisse du niveau et réchauffement des eaux), etc (11).

La commission d'éthique et de déontologie de l'IRSN pour la contribution au débat public relatif aux nouveaux réacteurs nucléaires soulignait pour sa part en mars 2023 (12) l'importance du temps de la réflexion. Le choix de développer le nucléaire doitselon elle bien être pesé « compte-tenu des irréversibilités qu’il engage (...) sans que le fardeau des conséquences des décisions d’aujourd’hui ne soit porté par ses décideurs » (c'est nous qui soulignons). Citant les déchets nucléaires dangereux pendant plusieurs siècles et les incidences sur les générations futures, en particulier sur le plan de la santé et de l’environnement, la commission alerte sur le fait que « Le débat parlementaire restant un espace démocratique essentiel, il importe, afin que l’ensemble des dimensions de ces décisions soit bien pesé et que le Parlement soit parfaitement éclairé, que les enjeux techniques, notamment en termes de sûreté et de radioprotection soient clairement explicités ».

On sait qu'un accident nucléaire majeur peut être provoqué par l'addition de plusieurs événements improbables, et que c'est leur conjonction qui concourt à l'impensable. Le fameux « effet domino » (13). On a ainsi frôlé cet impensé à plusieurs reprises : le 27 décembre 1999 à Blaye (14), où l’inondation de la centrale a même conduit à envisager l’évacuation de Bordeaux, ou encore le 8 octobre 2019 à Golfech (15), où une suite d’erreurs lors d’un déchargement de combustible a failli conduire au pire – pour ne citer que les centrales les plus proches de nous. À chaque fois (et cela doit ou devrait servir de leçon), une série de facteurs aggravants qui se rajoutent en cascade. À chaque fois la « chance » d'avoir pu éviter le pire – car si le nucléaire est sûr, c'est aussi une question de chance. Il faut croiser les doigts.

Concernant l'expertise, dont la future ASNR sera justement garante, il n'est pas inutile de rappeler certains problèmes qui touchent le parc nucléaire français, et particulièrement l'EPR de Flamanville dont l'ASN a autorisé le chargement du combustible le 7 mai dernier (16). Côté dominos, il n'y a que l'embarras du choix pour cet EPR, outre le fait qu'il ait pris 12 ans de retard et que ses coûts aient explosé, passant de 3,3 à 19,1 milliards d'euros : contrefaçons, falsifications et fraudes concernant des équipements sensibles, défauts dans la qualité de l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur (couvercle qui devra être remplacé, la cuve étant elle irremplaçable), défauts dans les soupapes de protection sur les circuits secondaires et les échangeurs des circuits de refroidissement, défaut de conception de la géométrie de la cuve provoquant des turbulences qui provoquent des cassures dans les gaines de combustible et des fuites radioactives dans le circuit primaire, vibrations sur le circuit d’alimentation de secours des générateurs de vapeur, fissures dans le béton de la dalle, défauts de soudures, défauts génériques, maintien du principe d’« exclusion de rupture » – qui évite de considérer leur possible défaillance (17) – pour la cuve du réacteur et les tuyauteries des circuits primaires et secondaires malgré les défauts constatés (18). N'en jetez plus !

Il n'est qu'à espérer, vous et moi, que, parmi de tels insignifiants conjugués qui conduiraient à une catastrophe (l’installation elle-même en étant le principal), votre vote ne fasse pas partie des déterminants.


En vous souhaitant le meilleur,
c'est-à-dire sans accident nucléaire,

bien cordialement,


Michel Lablanquie, le 24 juin 2024


Télécharger ce texte

Texte adaptable aux 260 ex-députés
(dont la liste est ici : https://assemblee-nationale.fr/dyn/16/scrutins/3546)

 

_______________________________

NOTES :

1) – l'ASN et l'IRSN reconnaissent tous deux la possibilité d'un accident majeur en France 
<http://collectif-adn.fr#accident-majeur-possible>

1) – Loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire
et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire
<https://legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049563783>

3) – selon les sources, fluidifier est tour à tour utilisé pour qualifier les processus, décisions, travaux ou expertise...

4) – projet de loi n°262 du 19 mars 2024
<https://assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0262_texte-adopte-seance>

5) – scrutin public n°3546 sur l'ensemble du projet de loi (première lecture)
<https://assemblee-nationale.fr/dyn/16/scrutins/3546>

6) – la catastrophe de Tchernobyl fait toujours des dégâts, et l'on peut aider les Enfants de Tchernobyl Belarus en soutenant la campagne « une pomme pour Belrad » : <http://lesproduitsdujardin.fr/panier/pomme>

7) – <https://blogs.mediapart.fr/yves-lenoir/blog/280323/derive-tchernobylienne-la-fusion-irsn-asn>

8) – <http://collectif-adn.fr#IRSN-ASN>

9) – <https://connaissancedesenergies.org/afp/surete-nucleaire-le-gouvernement-fait-son-choix-pour-diriger-et-organiser-la-nouvelle-autorite-240527>

10) – comme le rappelait André-Claude Lacoste, président de l’ASN de 2006 à 2012, « personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses : essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire. » (c'est nous qui soulignons),
repris in <https://asn.fr/l-asn-informe/publications/les-cahiers-de-l-asn/les-cahiers-histoire-de-l-asn-n-1>

11) – <https://vie-publique.fr/eclairage/272644-surete-nucleaire-prevention-et-gestion-des-risques>

12) – <https://irsn.fr/actualites/communication-commission-dethique-deontologie-lirsn-pour-contribution-debat-public>

13) « Il y a des enchaînements de circonstances aggravantes, des combinaisons d'événements improbables que l'on estime a priori inimaginables mais qui finissent quand même par se produire. Comme je le dis parfois : Il faut imaginer l'inimaginable. »,
Jacques Repussard, directeur de l'IRSN, Le Figaro, le 17 juin 2011.

14) – <https://lepoint.fr/societe/les-naufrages-du-blayais-22-03-2011-1316282_23.php>

15) – <https://journaldelenergie.com/nucleaire/reacteur-nucleaire-edf-accident-robinet> – Voir aussi l'avis de l'IRSN : <https://irsn.fr/actualites/avis-illustre-commente-sur-levenement-mise-sous-vide-incontrolee-circuit-primaire-lors>

16) – <https://sfen.org/rgn/asn-autorise-epr>

17) – <https://global-chance.org/DE-L-EXCLUSION-DE-RUPTURE-DANS-LA-SURETE-NUCLEAIRE>

18) – <http://collectif-adn.fr/EPR.html>