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Nucléaire caniculaire et après ?

par François VALLET - 17 octobre 2022 - revu en janvier 2023

 

Avec 56 réacteurs d’une puissance totale cumulée de 61 370 MW, soit 905 W de puissance électro-nucléaire installée par habitant, la France est le pays le plus nucléarisé au monde. L’observation de ce qu’il s’y passe est donc particulièrement intéressante à l’heure où l’approvisionnement en gaz de l’Europe depuis la Russie est interrompu et où le gouvernement français souhaite relancer la construction de nouveaux réacteurs.

Selon ses partisans, le nucléaire serait une énergie fiable et pilotable, indispensable à notre approvisionnement en électricité. De plus ce serait une énergie peu émettrice de gaz à effet de serre et il faudrait donc en développer l’usage pour atténuer le réchauffement climatique. Sa capacité de modulation se combinerait parfaitement avec les énergies renouvelables variables (hydraulique au fil de l’eau, éolien, photovoltaïque) permettant ainsi d’obtenir, à l’avenir, un « mix électrique décarboné » favorable à l’atténuation du réchauffement climatique.

Est-ce bien la réalité observable par quiconque se donne la peine d’examiner les faits et non pas les discours ou les promesses des représentants de l’industrie nucléaire ?

C’est ce que nous allons voir à l’aide de quelques exemples récents du fonctionnement du système électrique français et européen.

N.B. : les données chiffrées indiquées ci-après sont issues du site internet de RTE (Réseau de Transport d’Electricité, filiale d’EDF) et du site internet, Energy-Charts, du Fraunhofer Institute for Solar Energy Systems (ISE - centre de recherche allemand sur l’énergie solaire). Elles sont aisément vérifiables. On peut retrouver le détail des informations chiffrées sur ces sites et sur les graphiques en annexe.

 

 

Quelques explications préliminaires

 

L’électricité est produite par transformation d’une énergie primaire au moyen d’un dispositif technique adapté à cette énergie

 

Pour produire de l’électricité il faut deux ingrédients indispensables : une source d’énergie primaire disponible en quantité suffisante et un dispositif technique qui permet de transformer cette énergie en agitation d’électrons dans un circuit électrique. Il existe une grande variété d’énergies primaires utilisables, renouvelables ou non, et de moyens de les transformer en électricité. Un réacteur nucléaire produit de la chaleur à partir de matériaux fissiles (essentiellement de l’uranium métal) et la transforme en électricité par un système thermodynamique classique de centrale thermique. Les centrales thermiques à flamme (à charbon, gaz ou fioul) et nucléaires nécessitent en amont une filière complète d’extraction du sous-sol et de traitement des combustibles fossiles ou des matériaux fissiles (uranium). Il y a des stocks d’énergies fossiles et d’uranium en France mais ils proviennent en quasi-totalité d’importations. Sans un approvisionnement constant, les stocks s’épuisent et la production d’électricité qui en découle s’arrête. Les seules sources d’énergie qui assurent une certaine autonomie énergétique à la France sont les renouvelables (hydraulique, éolien, solaire et biomasse).

 

L’électricité ne se stocke pas et pour éviter un black-out il faut assurer à tout instant l’équilibre des puissances entre production et consommation

 

L'électricité n'est pas un bien physique stockable qui peut s'échanger directement entre un producteur et un consommateur. L'électricité passe par un réseau public de transport et de distribution, interconnecté avec les réseaux des pays voisins. Vue du consommateur (le client) raccordé à ce réseau elle a les mêmes caractéristiques physiques (tension, fréquence et variations de ces deux paramètres) quelle que soit la manière dont elle a été produite, quel que soit le lieu de consommation et quel que soit le fournisseur.
La sécurité d'approvisionnement d'un client ne dépend pas, en dernier recours, de son fournisseur mais du gestionnaire du réseau (en France RTE). Sa principale mission, de service public, est de garantir que la puissance fournie au réseau soit égale, à tout instant, à la puissance appelée augmentée de celle perdue par le réseau. Pour utiliser les moyens de production disponibles, au mieux des intérêts des consommateurs, le gestionnaire de réseau priorise l’utilisation de ceux-ci en fonction d’une règle dite du merit-order (1) . Elle consiste à classer les moyens de production en fonction de leur coût variable, ou proportionnel à la production (coût du MWh produit hors dépenses liées aux investissements mais taxe carbone incluse), et à les mobiliser par ordre de coût croissant lorsque la puissance appelée augmente. Si la puissance produite n’est pas suffisante par rapport à la consommation, le gestionnaire de réseau peut activer l’effacement d’usages non indispensables (contrats passés avec les gros consommateurs industriels et avec des opérateurs d’effacement diffus (2) ou faire appel aux importations via les réseaux interconnectés avec des pays voisins ou mobiliser les deux mécanismes (effacement et importations). Les gestionnaires de réseau de chaque pays sont coordonnés entre eux pour assurer l’équilibre du réseau à tout instant à l’échelle européenne.

Il y a donc d'un côté un réseau européen interconnecté qui permet les échanges physiques d'électricité : les équipements de production apportent la puissance nécessaire à ce réseau sur lequel les consommateurs branchent leurs appareils électriques et peuvent éventuellement s’engager par contrat à les déconnecter en cas de nécessité.

Et d'un autre coté il y a un marché européen pour les échanges commerciaux : les producteurs vendent à des fournisseurs l'électricité produite et injectée dans le réseau, soit par la bourse de l'électricité, soit par des contrats directs. C'est le marché de gros. Les fournisseurs vendent à leur tour l'électricité aux clients finals, c'est le marché de détail. Il y a également un marché d’effacement avec des contrats passés entre des agrégateurs et des consommateurs d’une part, RTE d’autre part.

Certaines entreprises, comme EDF (3), ENGIE, TOTAL Energies, etc., peuvent être à la fois producteur et fournisseur et donc vendre en direct leur production à leurs propres clients finals.

Tous les fournisseurs doivent cependant justifier auprès du gestionnaire de réseau qu’ils sont en mesure de fournir la puissance appelée par leurs clients, soit par leurs propres moyens de production, soit par les moyens des producteurs avec lesquels ils ont des contrats d’achat ou via les marchés de gros.

Pour l'équilibre d’un réseau électrique, quelle que soit sa taille, ce sont les puissances fournies et appelées à chaque instant qui sont déterminantes, pas les quantités d'énergie consommée.

Dans la suite du document ce sont donc les puissances et l’équilibre des puissances qui sont examinés.

A l’échelle de l’Union Européenne la puissance cumulée de l’ensemble des moyens de production « pilotables » existants (615 140 MW) est largement suffisante, même en absence de vent et de soleil, pour compenser la puissance maximale appelée constatée par le passé (413 500 MW le 4 février 2015 à 19h). Il y a même des marges suffisantes de puissance qui permettraient d’arrêter la totalité des réacteurs nucléaires (98 700 MW) ou la totalité des centrales à charbon (109 000 MW) ou la totalité des centrales à gaz (178 500 MW), sans risquer de manquer d’électricité. Mais ce qui est vrai à l’échelle de l’UE 27 n’est pas forcément vrai à l’échelle d’un pays pris isolément. Et les possibilités d’échanges entre pays ne sont pas infinies. Voyons ce qu’il en est pour la France et pour quelques périodes caractéristiques.

 

Eté 2022 : en pleine canicule, et avec plus de la moitié des réacteurs nucléaires arrêtés, ce sont les interconnexions avec les pays voisins qui évitent à la France des coupures d’électricité

 

Samedi 23 juillet 2022, sur les 56 réacteurs nucléaires en service en France, 30 étaient à l’arrêt et 5 à puissance réduite. La puissance disponible, de ceux encore en état de marche, était alors de 25 762 MW. Près de 60% de la puissance électro-nucléaire installée (61 370 MW) étaient alors indisponibles pour cause de fissures sur des tuyauteries (4), de température d’eau de refroidissement trop élevée, de maintenance retardée pour cause de Covid et plus longue que prévue, « d’optimisation du combustible », etc.

Durant toute la semaine du 18 au 24 juillet 2022 (semaine 29) la France a été en déficit de production par rapport à la consommation.

La France ayant presque tout misé sur le nucléaire, pour sa production d’électricité, se trouva fort dépourvue lorsque la canicule fût venue, aurait pu dire le fabuliste.

En réalité ce sont les défaillances du nucléaire, son manque d’adaptabilité aux conditions climatiques actuelles, l’insuffisance des autres moyens de production, mais aussi le non-respect de ses engagements européens de réduction des consommations d’électricité et de production par les renouvelables, qui obligèrent la France à importer auprès de ses voisins ce qui lui faisait défaut (entre 1 523 MW au minimum et 11 434 MW au maximum). Et pendant plusieurs semaines la puissance maximale importée dépassa largement celle exportée.

Heureusement, d’autres moyens de production, plus fiables et plus adaptés aux conditions actuelles, sont disponibles dans les pays voisins.

A l’échelle de l’Union Européenne (UE 27), l’équilibre entre production et consommation était peu ou prou respecté, avec cependant quelques périodes où des importations auprès de pays voisins hors UE (essentiellement Suisse, Norvège, Royaume-Uni, mais aussi Ukraine, Bosnie-Herzégovine et Monténégro dans une moindre mesure) furent utilisées pour « boucler le bilan ».

Mais l’indisponibilité d’un nombre anormalement élevé de réacteurs nucléaires français a créé un déséquilibre conséquent sur le marché européen de l’électricité. Couplée à la hausse du prix du gaz et à la taxe carbone, il a provoqué des records de prix sur le marché spot français (l’électricité produite et consommée le jour J, payable au comptant à J+1) : 820 €/MWh au plus haut le 20 juillet à 9h et 225 €/MWh au plus bas le 24 juillet à 8h. Soit entre 5 et 20 fois le tarif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) fixé par les pouvoirs publics pour les ventes d’EDF aux autres fournisseurs d’électricité opérant sur la marché français.

L’UE peut donc se passer, en période d’été et en pleine crise d’approvisionnement en gaz, de 60% du nucléaire français. A l’inverse, la France ne peut se passer des autres moyens de production dans les pays voisins et des interconnexions avec ceux-ci. Mais cette situation n’est pas nouvelle.

 

Printemps 2002 : chauffage électrique à fond et parc nucléaire à moitié arrêté, ce sont les interconnexions avec les pays voisins qui évitent les coupures d’électricité en France

 

Samedi 2 avril 2022 une période de froid inopinée conduisait RTE à demander aux résidents français de faire fonctionner leurs lave-linge et lave-vaisselle le week-end plutôt que le lundi 4 avril entre 7 h et 10 h où une situation tendue était attendue (5). Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité craignait en effet de ne pouvoir assurer sans coupures un pic de consommation lié au chauffage électrique.

La pointe d'appel de puissance alors envisagée par RTE était de 72 400 MW. À titre de comparaison, le record à ce jour de puissance appelée en France remonte au 8 février 2012, avec 102 100 MW.

Or, de l'aveu même de RTE, la guerre en Ukraine n'était pour rien dans ce risque de pénurie d'électricité... Simplement, la moitié du parc électronucléaire français était alors à l'arrêt, dont certains des réacteurs les plus récents et les plus puissants. En partie pour raisons de maintenance programmée de longue date ou reportée du fait de la crise covid ; en partie pour des contrôles imprévus suite à la découverte de fissures dues à la corrosion dans les circuits d’injection de sécurité. Une recrudescence de la surveillance par l’Autorité de Sûreté Nucléaire semblait alors indispensable après la perte d'étanchéité du « combustible » radioactif survenue en Chine sur le premier réacteur EPR de Taïshan.

Finalement, lors du pic de consommation du lundi 4 avril à 9h (74 040 MW), nous n’avons pas manqué d’électricité, RTE se payant même le luxe d’utiliser 5 MW pour stocker de l’eau par les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Un peu moins de 44% de la puissance nécessaire était alors fournie par le nucléaire (32 254 MW) et plus de 56 % par les énergies renouvelables (22 976 MW), les centrales à fioul, charbon et gaz (10 307 MW), mais aussi par des importations (8 508 MW) auprès de nos voisins européens (Allemagne, Angleterre, Belgique, Espagne, Italie et Suisse). Le prix sur le marché spot français atteignait à 8h un pic de 2 988 €/MWh pour redescendre à 479 €/MWh à 9h.

La France a pu se passer ce jour-là de 48% de la puissance du parc nucléaire français en utilisant, partiellement, ses autres moyens de production et ceux disponibles dans les pays voisins. Le chauffage électrique a montré ce jour-là qu’il est une source majeure de fragilité pour le réseau électrique français. RTE estime en effet que chaque degré de baisse de température extérieure en hiver entraîne un appel de puissance supplémentaire sur le réseau de 2 400 MW (qualifié de « thermo-sensibilité » du réseau électrique). Cette particularité française, et pour le dire clairement cette aberration, a été encouragée depuis des décennies par EDF et par l'État français pour financer, au moyen d’une augmentation massive des ventes d’électricité, un programme nucléaire surdimensionné. Et celui-ci n’arrive pourtant pas à satisfaire cette demande créée à très mauvais escient.

 

Hiver 2021-2022 : le nucléaire ne peut faire face seul aux plus fortes demandes générées par le chauffage électrique

 

Lors de l’hiver passé, la puissance maximale appelée sur le réseau électrique a été de 87 025 MW, le vendredi 14 janvier 2022, à 9h30. Les réacteurs nucléaires disponibles (79% de la puissance nucléaire installée), fournissaient alors 56% de la puissance appelée. L’équilibre du réseau était assuré en utilisant les autres moyens de production en France, complétés par l’importation de 7 063 MW. Le prix sur le marché spot français était alors de 292 €/MWh à 9h, soit plus de 3 fois ce qu’il était à la même époque de l’année précédente.

Le lundi 11 janvier 2021 à 9h30, au plus froid de l’hiver les réacteurs nucléaires disponibles (85% de la puissance nucléaire installée) fournissaient alors un peu moins de 57% de la puissance appelée (88 440 MW). L’importation était alors de 3 959 MW et le prix sur le marché spot français de 89 €/MWh à 9h.

Le nucléaire ne suffit donc pas, seul, à équilibrer la puissance maximale appelée en hiver. Les autres moyens de production installés en France doivent être utilisés pour cela et, comme ils ne sont pas dimensionnés pour fournir le complément indispensable au nucléaire, des importations sont nécessaires. La France est dépendante de ses voisins européens pour assurer son approvisionnement électrique en période d’hiver. Et manque de chance c’est la période où les prix sont les plus élevés, sur le marché européen de l’électricité, du fait de la forte consommation due essentiellement au chauffage électrique en France.

 

Etés 2021 et 2022 : même en période de faible demande le nucléaire ne suffit pas

 

A ce jour et pour l’année 2022 la puissance minimale appelée sur le réseau électrique a été de 30 815 MW le dimanche 21 août à 5h30. Les réacteurs nucléaires fournissaient alors 23 350 MW, soit 75,8 % de la puissance consommée et 38,1 % de la puissance nucléaire installée. Malgré la production des autres centrales au fil de l’eau et du vent (3 611 MW d’hydraulique et d’éolien) et des centrales thermiques à combustibles (2 626 MW de gaz, de bioénergies, de fioul et de charbon) il y avait alors un déficit par rapport à la consommation. Il était alors compensé par des importations (3 561 MW) en partie utilisées pour du transfert d’énergie par pompage (2 333 MW). Le prix sur le marché spot français était de l’ordre de 345 €/MWh à 5h30, soit 5,2 fois plus que ce qu’il était à la même période de l’année précédente.

En 2021, la puissance minimale appelée sur le réseau électrique avait été de 29 660 MW le dimanche 8 août à 7h avec des réacteurs nucléaires produisant alors 27 655 MW (45% de la capacité nucléaire totale) soit 93,2% de la puissance consommée. Le complément nécessaire était alors fourni par les centrales au fil de l’eau, du vent et du soleil (9 692 MW d’hydraulique, d’éolien et de solaire) et les centrales thermiques à combustibles (1 874MW de gaz, de bioénergies, de fioul et de charbon). Il y avait alors un excédent par rapport à la consommation, utilisé en partie pour des exportations (8 137 MW) et en partie pour du transfert d’énergie par pompage (1 425 MW). Le prix sur le marché spot français était alors négatif (-9,51 €/MWh à 7h).

Le nucléaire n’est donc ni suffisant pour couvrir les besoins en période de faible demande, ni suffisamment modulable pour s’adapter aux variations de consommation et de production par les énergies renouvelables. Sa plage de modulation limitée conduit à des surproductions lorsque la consommation est faible et que la production des énergies renouvelables est forte. Elle rend indispensables des centrales thermiques à combustibles fossiles qui ont une capacité de modulation de puissance et une rapidité d’adaptation aux variations de consommation, ou de production par les renouvelables, beaucoup plus élevées. Les capacités de stockage en France étant limitées, l’exportation est alors la voie privilégiée, pour éviter d’arrêter complètement les réacteurs nucléaires. Mais, en période de moindre demande, elle n’est possible qu’à bas prix, à condition que nos voisins en aient l’usage, et à prix négatif lorsque ce n’est pas le cas.

 

Été caniculaire : le nucléaire surchauffe les cours d’eau, aggrave la sécheresse et déroge aux règles de protection de l’environnement pour continuer à produire et … réchauffer la planète

 

La fission nucléaire est une réaction qui produit … de la chaleur. Dans un réacteur nucléaire, un tiers de cette chaleur est converti en électricité et les deux-tiers sont évacués dans l’environnement (air et eau). Le réacteur nucléaire est un des moyens les moins efficaces de transformer de la chaleur en électricité.

C’est pour cette raison que les réacteurs nucléaires sont à proximité de cours d’eau, de lacs ou d’océans dans lesquels la chaleur est évacuée directement ou qui servent à alimenter en eau des tours de refroidissement. Dans ces dernières, la chaleur dégagée par les centrales nucléaires évapore de l’eau, permettant ainsi un moindre prélèvement et un moindre échauffement de l’eau, par rapport au refroidissement direct. Mais la chaleur qui n’est pas transmise à l’eau va dans l’air et le réchauffe inexorablement. Quoiqu’en disent Orano et EDF, le nucléaire réchauffe bien la planète !

Et c’est pourquoi ce mode de production d’électricité n’est pas pérenne dans un climat qui se réchauffe et qu’il réchauffe avec ses émissions de chaleur, qui s’accumulent dans l’eau, dans l’air et également dans les sols.
Ainsi, samedi 23 juillet 2022, aux heures les plus chaudes et au moment de la consommation électrique la plus forte de la journée, les 26 réacteurs encore en fonctionnement produisaient 22 439 MW, bien moins que la consommation électrique (48 287 MW), mais bien trop pour éviter d’aggraver la canicule, la sécheresse et le réchauffement des cours d’eau.

La puissance thermique totale émise était alors de l’ordre de 67 000 MW (3 fois la puissance électrique produite) soit environ 1 000 W par habitant et 0,124 W/m² si on rapporte la puissance émise à la surface du territoire métropolitain. Cette dernière valeur peut sembler insignifiante mais en réalité c’est 2,4 fois l’accroissement moyen annuel du déséquilibre énergétique du système Terre/Atmosphère pour la période 2005-2019 (0.50 ± 0.47 W m−2 decade−1, selon une publication scientifique de juin 2021) (6). Or c’est bien ce déséquilibre énergétique qui est la cause du réchauffement climatique. Le territoire français, avec moins de la moitié des réacteurs nucléaires en fonctionnement, ressemble fort à un îlot de chaleur dans un océan de fraîcheur. Et si tous les réacteurs nucléaires fonctionnaient ce serait encore pire !

Pour certains des réacteurs en fonctionnement les règles de réchauffement des cours d’eau, édictées pour protéger la faune et la flore aquatique, n’étaient d’ailleurs plus respectées. Des dérogations ont alors été décrétées par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (7) qui n’est pourtant pas un spécialiste de la protection de l’environnement !

Pour refroidir l’ensemble des réacteurs le débit d’eau prélevé le 23 juillet était de l’ordre de 1 million de m3 par heure et le débit d’eau évaporée de l’ordre de 48 600 m3 par heure. En cumul sur la journée et ramené à la population française cela représente 380 l d’eau par habitant, prélevée et réchauffée, dont 17 l d’eau évaporée et perdue pour d’autres usages … en pleine période de sécheresse !

 

Canicule ou frimas : le nucléaire ne peut faire face aux aléas climatiques, géopolitiques, économiques, … il les aggrave

 

L’analyse qui précède porte sur des périodes particulières de l’année, de forte consommation électrique (hiver ou retour de l’hiver au printemps) ou au contraire de faible consommation (été frais ou caniculaire) et de faible disponibilité des installations nucléaires françaises.

Elle met en évidence plusieurs points essentiels :

- l’Union Européenne n’a pas besoin de réacteurs nucléaires, ni en France, ni ailleurs, pour assurer son approvisionnement en électricité au moment le plus froid de l’année ;

- la France par contre, quelle que soit la période de l’année, ne peut se passer des moyens de production des pays voisins et des interconnexions avec ceux-ci ;

- le chauffage électrique, encouragé de manière déraisonnable pour financer le nucléaire, est une source majeure de fragilité pour le réseau électrique français et la principale raison pour laquelle la France ne peut pas se passer des moyens de production et de transport d’électricité de ses voisins ;

- le nucléaire, pourtant surdimensionné à l’échelle de la France, ne peut faire face seul aux appels de puissance hivernaux provoqués par le chauffage électrique ;

- les autres moyens de production pilotables installés en France ne sont pas non plus suffisants pour fournir la puissance nécessaire en hiver ;

- en période froide ou de défaillance d’une part importante des réacteurs nucléaires français ou des deux situations conjuguées, l’équilibre du réseau électrique français nécessite de recourir à des importations massives et continues ainsi qu’aux effacements d’usages pouvant être différés ;

- l’indisponibilité d’une part importante des réacteurs nucléaires français, tout à fait prévisible au regard du fonctionnement de cette industrie, remet en cause le dogme d’une électricité nucléaire fiable, pilotable, abondante et à bas coût, sur laquelle pourraient compter les fournisseurs d’électricité et les consommateurs français, mais aussi des autres pays d’Europe ;

- le réchauffement provoqué par les réacteurs nucléaires, très loin d’être négligeable pour un pays comme la France, disqualifie cette technologie pour lutter contre le réchauffement climatique ;

- et dans un climat plus chaud et plus sec, les réacteurs nucléaires ne peuvent plus fonctionner qu’à condition de déroger aux règles déjà fort laxistes de protection de la flore et de la faune aquatique.

 

A l’évidence le nucléaire n’est pas une énergie indispensable à notre approvisionnement en électricité. Sa fiabilité est sérieusement mise en cause par les événements récents et son caractère pilotable une qualité théorique démentie par la pratique. Sa capacité à atténuer le réchauffement climatique n’a jamais été démontrée et ce serait même l’inverse qui se confirme.

Quant à sa capacité de modulation, elle est très limitée8 et remet en cause la faisabilité d’une combinaison avec les énergies renouvelables variables (hydraulique au fil de l’eau, éolien, photovoltaïque) permettant d’atteindre, à l’horizon 2050 et sans accroissement significatif du stockage saisonnier, un « mix électrique décarboné ».

 

Les 4 saisons du nucléaire : une fin inéluctable ?

 

Jusqu’à présent, pour les trois dernières saisons d’indisponibilité forte des réacteurs nucléaires, il n’y a pas eu de coupures d’électricité en France grâce aux interconnexions à l’échelle de l’Europe continentale et à la disponibilité de moyens de production suffisants dans les pays voisins (essentiellement l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie). EDF reconnaît d’ailleurs « que 17 réacteurs étaient inactifs l'hiver passé, sans que cela n'entraîne de coupure » (9).

Ces indisponibilités couplées à un prix du gaz élevé ont par contre des conséquences importantes sur les prix de détail de l’électricité en France : les tarifs qui étaient indexés sur le marché de gros ont très fortement augmenté et plusieurs fournisseurs ont arrêté leurs activités. Le « bouclier tarifaire » appliqué au tarif réglementé de l’électricité, réservé aux clients domestiques et aux petits consommateurs professionnels, aggrave les pertes d’EDF et met en difficulté les autres fournisseurs non producteurs dont les tarifs sont indexés sur le tarif réglementé.

Ces difficultés seront répercutées tôt ou tard sur les consommateurs d’électricité mais surtout sur les contribuables qui devront au final assumer les erreurs de la politique énergétique française (développement massif du nucléaire et du chauffage électrique, sous-développement chronique de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables).

Quant à l’erreur de stratégie industrielle, qui a consisté à construire en une quinzaine d’années la quasi-totalité des réacteurs nucléaires en service actuellement, elle a pour conséquence l’indisponibilité actuelle de plus de la moitié des réacteurs nucléaires français. Et il est n’est pas exclu qu’elle s’aggrave, du fait de l’état et de l’âge des installations. La pression du gouvernement sur EDF, pour que l’entreprise redémarre avant l’hiver un maximum de réacteurs arrêtés, n’est pas le bon signal pour la sûreté des installations et pour notre sécurité qui ne peut se résumer à un approvisionnement correct en électricité. La conséquence en sera une pression accrue d’EDF sur ses salariés et ses sous-traitants (10) et des propositions déraisonnables à l’ASN. On ne peut pas procéder de la sorte et dénoncer en même temps la pression exercée par l’armée russe sur les salariés de la centrale de Zaporijia.

L’ASN, de son côté, donne un autre mauvais signal en acceptant la proposition d’EDF d’un calendrier très étalé de contrôle des réacteurs susceptibles de comporter des fissures sur les tuyauteries des circuits d’injection de sécurité et de refroidissement des réacteurs à l’arrêt (sans parler des cuves sur lesquelles la présence de fissures est avérée). Le risque d’accident s’aggrave et c’est ce qui devrait nous inquiéter plutôt que le risque de pénurie d’électricité dont on peut réduire la consommation sans dommages irréversibles et même au bénéfice de nos économies.

Pourtant, et pour son avenir immédiat, la cigale nucléariste française se demande si elle aura les moyens d’alimenter ses chauffages électriques, en cas de température hivernale particulièrement basse et si les fourmis nos voisines ne peuvent nous alimenter qu’au compte-gouttes pour cause de manque de gaz.

Qu’ont prévu les responsables de l’équilibre des réseaux, RTE et ENEDIS ? Ont-ils envisagé un scénario où il faudrait arrêter, pour des raisons de sûreté, la totalité des réacteurs nucléaires (et non pas la moitié comme au printemps ou en cet été 2022) ? Pourquoi le Président de RTE n’a-t-il jamais répondu à la question qui lui a été posée à ce sujet au moyen d’une cyberaction à laquelle 2 278 personnes ont participé en mars 2021 (11) ?

Sans réponses explicites à ces différentes questions on peut cependant identifier, dans plusieurs déclarations publiques récentes, les actions de court terme qu’engageront le gouvernement et l’Etat nucléaristes français, EDF et ses filiales, ainsi que les « autorités » qui en dépendent, si l’hiver est froid :

- EDF, sous injonction gouvernementale, fera fonctionner le nombre de réacteurs le plus élevé possible au détriment de la sûreté ;

- l’ASN continuera de lui accorder les dérogations souhaitées aux règles de sûreté ou de protection de l’environnement ;

- EDF continuera de perdre de l’argent avec la production nucléaire et l’Etat lui accordera de nouvelles subventions déguisées ou augmentera à nouveau son capital pour éviter la faillite ;

- RTE et ENEDIS continueront de gagner de l’argent en transportant et distribuant l’électricité, notamment celle importée et produite chez nos voisins (de l’ordre de 17 000 MW mobilisables si leurs moyens de production pilotables sont disponibles et si leurs réseaux ne sont pas surchargés) ;

- RTE et ENEDIS activeront, si nécessaire (par exemple en cas de « vague de froid »), les effacements de très gros consommateurs (de l’ordre de 8 000 MW prévus par RTE), les effacements diffus (quelques centaines de MW mobilisables par l’opérateur Voltalis) et la baisse de la tension sur les réseaux de distribution (de l’ordre de 5 000 MW si la baisse de tension maximale admissible est réalisée) ;

- RTE et ENEDIS activeront à distance, le moment venu, des restrictions de consommation d’électricité grâce à l’outil de contrôle Linky qui permet de délester temporairement non seulement les locaux et bâtiments équipés de chauffage électrique (y compris de pompes à chaleur) mais aussi ceux alimentés par des chaudières (à gaz, fioul et bois) qui ne peuvent fonctionner sans électricité ;

- l’Etat réduira ou supprimera complètement le « bouclier tarifaire » sur les prix de l’électricité qui atteindront un niveau tel que nous serons contraints de nous restreindre ou d’investir, pour ceux qui le peuvent, dans l’efficacité énergétique appliquée aux consommations électriques et dans la production d’énergie renouvelable.

 

Il est par ailleurs fort probable que les pays qui disposent de centrales à charbon les feront fonctionner le plus possible pour s’affranchir des approvisionnements en gaz russe (12) . Et il est même possible que la taxe carbone soit réduite pour faire baisser le prix de l’électricité.

Pour l’avenir tout court, il se pourrait bien qu’après l’automne nucléaire, entamé avant 2011 et confirmé par l’explosion des réacteurs nucléaires de Fukushima, arrive l’hiver nucléaire. Le pire serait celui provoqué par de nouvelles explosions d’armes atomiques ou de réacteurs. Le meilleur serait celui de l’extinction du nucléaire militaro-civil, risque inutile et coûteux. Il ne garantit pas la paix entre les nations, ni un approvisionnement énergétique sûr et bon marché pour l’ensemble de l’humanité. La France ne doit pas faire le même type d’erreur, que celle commise au moment des chocs pétroliers des années 1970, en relançant une filière nucléaire anti-économique, extrêmement dangereuse et qui constitue une menace inacceptable pour l’humanité.

 

François Vallet – 17 octobre 2022

 

 

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Notes :

(1) https://omnegy.com/la-mecanique-du-merit-order/
https://gazelenergie.fr/blog/2018/02/19/merit-order-production-electricite-efficiente/

(2) https://www.voltalis.com/economies-energie/quest-ce-que-leffacement-de-consommation-electrique-ou-gestion-active-de-la-consommation-2825

(3) En France, avec l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, les fonctions de production, de distribution et de transport d'électricité ont été séparées depuis 2007.
EDF a créé des filiales, ENEDIS et RTE, qui ont repris les concessions de service public pour gérer les réseaux de distribution et de transport. Ceux-ci appartiennent aux collectivités locales pour la distribution et à l’État pour le transport.
La distribution et le transport de l'électricité sont des services publics mais la production et la fourniture ne le sont plus. EDF n'est plus un établissement public, depuis 2004, mais une multinationale au statut de société anonyme dont le capital est détenu à 83,7% par l’État (le gouvernement prévoit que celui-ci en devienne propriétaire à 100%).

(4) https://reporterre.net/EDF-durablement-englue-dans-le-probleme-des-fissures-nucleaires

(5) https://www.rte-france.com/actualites/baisse-temperatures-rte-active-signal-orange-national-ecowatt-lundi-4-avril-2022

(6) Satellite and Ocean Data Reveal Marked Increase in Earth’s Heating Rate - Geophysical Research Letters – 15 juin 2021 - https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2021GL093047

(7) https://reporterre.net/Secheresse-nouvelles-derogations-environnementales-pour-cinq-centrales-nucleaires

(8) https://www.laka.org/nieuws/2022/so-how-flexible-is-nuclear-power-in-france-now-really-17421

(9) https://www.francetvinfo.fr/economie/energie/energie-la-relance-des-reacteurs-nucleaires-vetustes-est-elle-risquee_5342068.html

(10) https://www.zonebourse.com/cours/action/ELECTRICITE-DE-FRANCE-4998/actualite/Centrales-nucleaires-des-prestataires-d-EDF-prets-a-relever-les-seuils-de-41794561/

(11) https://www.cyberacteurs.org/archives/bilan.php?id_petition=4569

(12) https://reporterre.net/En-Allemagne-le-retour-du-charbon-inevitable-selon-Greenpeace

 

 

Annexes :

 

https://www.energy-charts.info/charts/power/chart.htm
?l=fr&c=FR&stacking=stacked_absolute_area&source=total&week=29

 

 

 

 

https://www.energy-charts.info/charts/power/chart.htm?
l=fr&c=EU&stacking=stacked_absolute&week=29&source=cbpf_saldo&year=2022

 

 

 

https://www.energy-charts.info/charts/price_spot_market/chart.htm?
l=fr&c=FR&stacking=stacked_absolute_area&week=29

 

 

 

Remarques :

- la capacité actuelle d’importation indiquée (13 863 MW) est la valeur maximale des échanges commerciaux constatée par RTE le 03/04/2022 à 1h30 ; en réalité la capacité physique d’importation par les lignes d’interconnexions existantes est sensiblement plus élevée (supérieure à 17 000 MW)

- pour le 8 février 2012, les puissances indiquées sous la rubrique « hydraulique de barrage », sont en réalité le cumul des productions par les centrales au fil de l’eau, par les STEP en turbinage et par les centrales de barrages.