« De la force de frappe, je dirai qu’elle ne peut être qu’un simulacre ou une folie, puisqu’elle ne peut être employée sans provoquer instantanément la riposte qui anéantirait le vulnérable hexagone. Je dirai que ce qu’on appelle notre indépendance atomique n’est que le droit au suicide solitaire. Je dirai que la force de frappe nous expose au lieu de nous protéger : elle n’est pas un bouclier mais une cible. Je dirai qu’elle donne au monde le mauvais exemple, en incitant à la dissémination des armes nucléaires qui est le plus redoutable de tous les périls, et comme la généralisation du cancer atomique. Je dirai que loin de servir la recherche scientifique, elle détourne de la recherche fondamentale des multitudes de chercheurs, qu’elle exténue le pays, qu’elle entrave le progrès social et culturel. Je dirai qu’elle bafoue une tradition de générosité et de pacifisme, qui faisait jusqu’ici le meilleur de notre héritage spirituel. Je dirai que, loin de grandir la France, elle la rapetisse, car le chemin de la bonne grandeur ne passe pas par les usines Dassault. »
Jean ROSTAND, « Agression majeure », le 23 juin 1966 à Paris à la réunion organisée par le MCAA pour protester contre les essais en Polynésie
Les réseaux de militants contre les essais nucléaires français (1959-1996)
Thèse de Clémence Maillochon, le 28 septembre 2023
De 1960 à 1996, la France réalise 210 essais nucléaires dans le Sahara et le Pacifique. Ces expérimentations suscitent le développement de militantismes qui oscillent entre rejet du nucléaire et contestation de la souveraineté de la France sur ces territoires. De plus, les circulations matérielles et immatérielles induites par la mise en œuvre des expériences y provoquent de profonds bouleversements sociétaux, et suscitent une crise identitaire particulièrement vive en Polynésie.
Les raisons de s’opposer aux expérimentations font s’entrecroiser de multiples motifs traités au prisme d’agendas militants. En fonction des cas, le nucléaire se pose comme un symbole du militarisme, colonialisme, impérialisme, capitalisme ou encore d’une domination patriarcale. Selon les contextes, les essais nucléaires mobilisent des communautés ou individus qui défendent des enjeux locaux, tout en composant avec la dimension transnationale du mouvement contre la bombe.
Entre 1960 et 1966, la France a effectué dix-sept essais nucléaires dans le Sahara algérien. Alger réclame le traitement par la France des déchets qui empoisonnent encore ces régions.
Le 23 janvier 2025, le Conseil de la nation (Sénat) a approuvé la loi sur la gestion, le contrôle et l'élimination des déchets, qui comporte dans ses articles un élément inédit : l'exigence faite à la France d'« assumer pleinement ses responsabilités historiques, morales et juridiques dans l'élimination de ces déchets radioactifs et reconnaître l'énorme préjudice causé à notre pays et aux populations d'Adrar, de Reggane, d'In Ekker et d'autres régions », selon les termes de la ministre de l'Environnement et de la Qualité de la vie, Nadjiba Djilali.
Sous le sable la radioactivité !
Les essais nucléaires français en Algérie
par Jean-Marie COLLIN
et Patrice BOUVERET, juillet 2020
La France, avec ses 210 essais nucléaires, dont 17 au Sahara algérien, n’a pas encore révélé tous ses secrets, comme l’expose l'étude réalisée par Patrice Bouveret directeur de l’Observatoire des armements et Jean-Marie Collin co-porte-parole de ICAN France, et publiée par la Fondation Heinrich Böll.
Essais nucléaires : l’État s’enferme dans ses mensongespar Tomas STATIUS et Sébastien
PHILIPPE Disclose, le 16 mars 2021
Suite aux révélations de Disclose, le Commissariat à l’énergie atomique se défend d’avoir sous-estimé la contamination des Polynésiens lors des essais nucléaires dans le Pacifique. Face à cette remise en cause sans précédent des calculs réalisés par le CEA il y a quinze ans, l’organisation s’est fendue d’un communiqué le 12 mars. Parsemés de contre-vérités et d’approximations, nous y répondons point par point.
« Essais nucléaires au Sahara : indemnisation des victimes »
Questions d'actu, émission d'Ahmed LAHRI sur Canal Algérie, 2010, avec Azzedine Zalani et Bruno Barrillot
avec la question soulevée des cobayes humains lors des essais atomiques
« Retour de vétérans sur les essais nucléaires au Sahara»
reportage de K. LANGLAIS et L. BENCHILA, 2007, avec Jean-louis Valatx, vétéran à In Ekker,
Bruno Barillot, expert des essais nucléaires, Michel Berger, AVEN et Robert Durand, vétéran de Reggane
ENQUÊTE
Atolls irradiés Lutter et réparer après les essais nucléaires en Polynésie
Une enquête en trois volets de Naïké Desquesnes et Léna Silberzahn, Terrestre, mai 2025
Entre 1960 et 1996, la France a fait exploser 210 bombes nucléaires : 17 dans le désert du Sahara algérien puis 193 en Ma'ohi Nui, l’autre nom de la Polynésie. Les « essais » nucléaires, que nous nommerons plutôt « expérimentations », ont fait de très nombreuses victimes — la plupart des 23 maladies radio-induites aujourd’hui reconnues sont des cancers graves — et ont provoqué des dégâts écologiques considérables. Pourtant, les ravages des bombes nucléaires sont longtemps restés largement ignorés.
En 2021, le chercheur Sébastien Philippe et le journaliste Tomas Statius publient le livre Toxique : Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie. L’ouvrage est accompagné de la mise en ligne des « Moruroa Files » par les médias Disclose et Interprt. Basée sur 2000 documents déclassifiés et étayée par des modélisations scientifiques, cette enquête fait enfin la lumière sur les conséquences des expérimentations nucléaires en Ma'ohi Nui.
Comment les premier·es concerné·es vivent-ils et elles avec cet héritage, et comment mènent-ils et elles, au quotidien, la lutte contre le déni de leur parole et de leurs expériences ? Que peut apprendre le mouvement antinucléaire hexagonal de leurs combats pour la vérité, la justice et la réparation face à la contamination et au mensonge d’État ?
Naïké Desquesnes et Léna Silberzahn, respectivement journaliste et chercheuse, se sont rencontrées lors d'un rassemblement antinucléaire et féministe en 2019 à Bure. Dans les trois textes de ce dossier, elles cherchent à éclairer les vécus et les combats des survivant·es, selon une perspective attentive aux questions du genre et de la colonialité.
Essais nucléaires en Polynésie : des victimes réclament justice, France 24 Outre-mer, le 10 juilet 2025
Essais nucléaires français, un document
ravive le traumatisme des Polynésiens
par Paul Leclerc, Le Canard enchaîné, le 13 août 2025
Trente ans après la reprise des tirs, une commission d'enquête parlementaire fait remonter de nombreux secrets enfouis dans le lagon.
C'et une directive administrative classée « secret-confidentiel ». Elle concerne les essais nucléaires en Polynésie et vient de remonter à la surface. Datant de 1966, il résume l'immense considération avec laquelle Paris traitait alors les populations locales. Car il réservait les pastilles d'iode en cas de risque de contamination « aux seuls personnels » militaires chargés des essais !
« Secrets de la Bombe Française : les Essais Nucléaires en Polynésie »
reportage de Jean-Thomas CECCALDI, Slice histoire, Arte France, le 13 août 2025
Bruno Barillot, expert des essais nucléaires, Michel Berger, AVEN et Robert Durand, vétéran de Reggane
« Faut faire éclater la vérité, il y a eu des manquements, pour ne pas dire des erreurs » Un ancien marin témoigne lors de la commission d'enquête
par Gervais Nitcheu et Franck Vergès, Polynésie La 1ère, le 22 janvier 2025
Deuxième jour des auditions réalisées par la commission d'enquête relative aux conséquences des essais nucléaires en Polynésie, mise en place la semaine du 13 janvier. À l'Assemblée nationale ce mercredi 22 janvier dans l'après-midi, plusieurs témoignages directs ont été recueillis. Parmi eux, des marins ayant participé aux campagnes de tirs, dont Roland Delacour fait partie.
Roland Delacour milite aujourd'hui pour la déclassification des documents relatifs aux essais nucléaires en Polynésie française. "Faut faire éclater la vérité. Il y a eu des manquements, pour ne pas dire des erreurs. Des expériences qui ont eu des ratés, il y en a eu. Y en a une notamment, en 1974, qui a touché Tahiti. Et à Tahiti, il y a des gens qui ont été certainement irradiés et dont aujourd'hui, on se demande si les enfants ou les petits-enfants ne sont pas victimes de ces errements" argumente-t-il.
Colonialisme nucléaire, impérialisme
carbone et réchauffement climatique
par Jade LINDGAARD, Médiapart, le 13 novembre 2024
En Océanie, les luttes écologiques sont marquées par l’urgence de la montée des eaux et les blessures des essais nucléaires. Pour la chercheuse Anaïs Maurer, les combats des peuples du Pacifique passent par une remise en cause du scientisme lié à l’ordre colonial et par un retour à une pensée traditionnelle du rapport à la terre..
En 2023, l’accord final de la COP28 sur le climat demandait d’« accélérer » le développement de l’énergie nucléaire pour décarboner les sources de production d’électricité. Dans une déclaration commune, vingt-deux pays – dont les États-Unis et la France – avaient appelé à tripler les capacités de l’industrie de l’atome d’ici à 2050 par rapport à 2020.
Mais dans la région océanienne, marquée par les campagnes d’essais des bombes nucléaires, l’atome n’est en aucun cas vu comme une solution au dérèglement climatique. Pour les anti-nucléaire, les îles du Pacifique héritent d’une triple « apocalypse » : épidémiologique à la suite de l’arrivée des Occidentaux et de nouveaux virus, nucléaire avec l’équivalent d’une bombe Hiroshima par jour tous les jours pendant cinquante ans, et climatique avec la montée des eaux. (...)
Pour Anaïs Maurer, enseignante et chercheuse à la Rutgers School of Arts and Sciences à New York, les peuples d’Océanie, souvent présentés comme des « victimes », « sont les premiers peuples à avoir mis en place des stratégies de résistance » contre la violence du complexe capitaliste et colonial militaro-industriel.
Dans un livre sensible et politique, encore non traduit en français, The Ocean on Fire. Pacific Stories from Nuclear Survivors and Climate Activists (Duke University Press, 2024), elle retrace plusieurs décennies de contestation du « colonialisme nucléaire », à partir de l’explosion de la première bombe atomique à Hiroshima, par des peintres, des autrices et auteurs, des musiciennes et musiciens des différentes îles du Pacifique. Elle montre les liens profonds entre cette critique et le refus de « l’impérialisme carbone ». Et appelle à déconstruire la dichotomie « qui a divisé le monde entre la science et le reste, entre la raison et les émotions, entre les hommes et les femmes, entre les colonisateurs et les colonisés, entre ceux qui inventent des bombes nucléaires et ceux qui se font irradier ». (...)
« En détériorant le patrimoine héréditaire humain, on fait peut-être pis que de tuer des individus : on abîme, on dégrade l'espèce. On met en circulation de mauvais « gènes » qui continueront à proliférer indéfiniment. C'est non seulement un crime dans l'avenir qui est ainsi perpétré, mais un crime vivant qui s'entretient de lui-même.
Déjà des explosions s'annoncent, tandis que d'autres, dans l'ombre, se préparent suscitées par l'infernale contagion du pire. Les pauvres îles Touamotu, jusque-là si heureusement paisibles, vont bientôt connaître — parce qu'elles ont l'infortune d'être en territoire français — les effets de la radioactivité à bout portant. Tout ce qu'on croyait avoir gagné sur le « mal biologique », sur les mutations nocives, sur la leucémie, sur le cancer, est remis en cause. Une fois de plus, l'homme va être victime de l'entêtement ou de l'orgueil de quelques-uns. La décadence de l'espèce se poursuivra. Le crime continue.En face du péril atomique, de ce péril qui ne ressemble à aucun autre, qui est incommensurable à tout autre, de ce péril qui, par son amplitude, impose à l'espèce tout entière de nouvelles façons de penser et d'agir, en face de ce péril dont il est honorable autant que raisonnable d'avoir peur, il ne devrait plus y avoir ni pays, ni continent, ni monde libre ou pas libre, mais rien que des hommes, citoyens de la planète, tous mêlés, confondus, fraternises par une égale menace. »
Jean ROSTAND, cité dans D. Parker et R. Bonniot, Folie nucléaire, 1966
Le 2 juillet 1966 à Mururoa :le premier « essai » atomique français en Polynésie inaugurait une série de 193 explosions nucléaires dans le Pacifique
L’histoire d'une catastrophe sanitaire et environnementale largement méconnue a débuté le 2 juillet 1966. Ce jour-là, l’armée française procèdait au tir Aldébaran, le premier des 193 «essais» nucléaires tirés pendant trente ans dans les atolls de Moruroa et Fangataufa, à 15 000 km de la métropole. Le premier aussi d’une série de tests parmi les plus contaminants du programme nucléaire français : les essais à l’air libre. Entre 1966 et 1974, l’armée a procédé à 46 explosions aériens.
Sous la présidence du général de Gaulle, la France se dote de la force de dissuasion nucléaire convoitée depuis le début de la Vème République. A quel prix ? Depuis les hésitations des décideurs politiques métropolitains sur le choix du lieu jusqu'aux conséquences sanitaires, environnementales et socio-économiques, ce film lève le voile sur une période de l'histoire polynésienne et postcoloniale française longtemps demeurée sous le signe du secret.
Mururoa Files- Enquête sur les
essais nucléaires français dans le Pacifique(9 mars 2021)
Entre 1966 et 1996, la France a procédé à 193 essais nucléaires en Polynésie française. Le dernier sous la présidence de Jacques Chirac. En trente ans, le programme a laissé des traces dans la société polynésienne, dans les corps de ses habitants et de nombreux vétérans, dans l’environnement de ce territoire vaste comme l’Europe.
Disclose et Interprt ont enquêté pendant deux ans sur les conséquences des essais atmosphériques en Polynésie française.
Il aura fallu de deux ans de travail pour qu'en mars 2021, un livre : Toxique, et un dispositif documentaire : Moruroa Files, révèlent l’ampleur des retombées radioactives qui ont frappé la Polynésie, et comment les autorités françaises ont tenté de dissimuler l’impact réel de cette entreprise criminelle pour le vivant et pour la santé des populations civiles et militaires. Leucémies, lymphomes, cancers de la thyroïde, du poumon, du sein, de l’estomac… En Polynésie, l’héritage des essais nucléaires français est inscrit dans la chair et dans le sang des habitants. Le strontium a grignoté les os, le césium s’est concentré dans les muscles et les organes génitaux, l'iode s’est infiltré dans la thyroïde.
50 ans après le début de ces essais, cette étude remet dans l'actualité leurs conséquences - sur lesquelles le chef de l'État a été obligé de revenir, dans un contexte géopolitique de reconquête de l'axe « indo-pacifique ».
Lors du « Tir Centaure », effectué le 17 juillet 1974 en Polynésie depuis l’atoll de Moruroa, le champignon atomique ne s’élève pas assez haut et se dirige vers Tahiti en contaminant les sols et les habitants.
À la demande du ministère de la Défense, l'INSERM avait publié en juillet 2020 son rapport d'expertise sur les conséquences pour la santé des essais nucléaires en Polynésie : « bien qu’insuffisants pour conclure de façon solide sur les liens entre les retombées des essais nucléaires atmosphériques et la survenue de pathologies radio-induites en Polynésie française, ces résultats ne permettent pas non plus d’exclure l’existence de conséquences sanitaires ». L'INSERM a confirmé son rassurisme en mars 2021.
Essais nucléaires en Polynésie : « Une histoire marquée par le mensonge »
Entretien de Sébastien PHILIPPE et Thomas STATIUS, par Karim YAHIAOUI, France 2, le 5 avril 2021
Intégralité de l'entretien réalisé pour le tournage du film documentaire « Nucléaire, jusqu’ici tout va bien », produit par l’École Supérieure d’Audiovisuel de Toulouse (ESAV) et le Réseau “Sortir du nucléaire”, 2004. Bruno Barrillot
est décédé le 25 mars 2017 en Polynésie - lire l'hommage de Ben Cramer
Macron aux victimes des essais atomiques en Polynésie : «
allez vous faire vacciner ».
Le pied à peine posé sur l'archipel, le 24 juillet 2021, Emmanuel Macron en visite en Polynésie appellait chacun à se faire vacciner. Dans son discours du 27 à Papeete, il s'est toute fois exprimé sur les conséquences des « essais » atomiques en Polynésie, sujet sur lequel il était attendu, « la part d'ombre » de la France (voir ici la vidéo de son intervention - à partir de 43:20).
« La France a une dette envers la Polynésie » reconnait Emmanuel Macron, qui s'engage à « briser le silence pour faire entendre la vérité ». Rien de nouveau depuis la dernière visite présidentielle de François Hollande en 2016, qui reconnaissait déjà que les essais avaient eu un impact environnemental et des conséquences sanitaires. Pas d'excuses pour autant de la part de Macron : « Il n'y a pas eu de mensonge, il y a eu des risques qui ont été pris, pas parfaitement mesurés parce qu'on ne les savait pas parfaitement, c'est vrai. »
Il n'y a pas eu de mensonges. En même temps, « Je ne peux pas vous demander d’avoir confiance en moi après qu’on vous aitmenti si longtemps en ne partageant pas les informations, c’est vrai, et donc je pense que la confiance, ça se construit en disant tout, en partageant la totalité, en étant beaucoup plus transparent et c’est vrai qu’on n’a pas fait le boulot jusqu’à présent », avait-t-il pourtant déclaré quelques heures auparavant aux manifestants de l’association antinucléaire 193.
Il n'y a pas eu de mensonges. On ne savait pas à l'époque les conséquences des essais sur la santé. Jean Rostand les décrivait pourtant quelques semaines avant le premier essai (cf. son discours « Nous protestons et nous accusons » du 23 juin 1966). Après 193 tirs atomiques étalés sur 30 ans, on ne savait toujours pas. On n'a toujours pas menti. De De Gaule en 1966 : « La France estime et aime la Polynésie française aussi, parce que en ce moment même, elle est le siège d'une grande organisation. Toutes les dispositions sont prises, comme vous le savez, pour que cela n'ait aucun inconvénient d'aucune sorte pour les chères populations polynésiennes », à Chirac en 1995 : « Je comprendrais l'émotion si nos tests étaient mauvais pour la région, mais ce n'est pas le cas. » Aujourd'hui, aucun mensonge non plus. On ne sait toujours pas et sans doute ne veut-on pas savoir.
Les archives seront ouvertes, promet Macron... « sauf si elles peuvent fournir des informations "proliférantes", qui mettraient notre dissuasion en risque » s'empresse-t-il de rajouter. Les processus d'indemnisation seront améliorées... mais les prises en charge conditionnées à un "examen". (...) « Ceux qui vous expliquent que nous pourrions prendre en charge la totalité de toutes les formes de pathologies qu'il y a aujourd'hui vous mentent, où entretiennent une forme de culture de l'irresponsabilité et de la démagogie. Ce n'est pas la mienne. » Autant dire que tous les verrous sont posés pour que la situation perdure.
Trop rechercher la « vérité » conduirait à révéler la réalité des cancers en Polynésie, dont une part seulement sont consignés dans des registres incomplets et toujours sous sellés. L'opération de communication de Macron visait surtout le contre-feu après l'enquête de Disclose sur les conséquences des essais nucléaires (cf. l'interview de Sébastien Philippe, le 26 juillet pour le Figaro).
Gageons que la vaccination détournera un temps les regards - les cancers continueront eux à toucher les polynésiens exposés aux radiations et leurs descendants, comme le prévoyait Jean Rostand.
Essais nucléaires en Polynésie française :
« J’étais au premier tir de la bombe H française »
par Ça m'iintéresse, le 28 juillet 2021
Lors du tir, le 24 août 1968, je suis chargé avec onze autres soldats de m’assurer qu’il n’y a plus personne autour de l’atoll de Fangataufa. C’est magnifique, une explosion nucléaire ! Deux heures et demie plus tard, nous sommes les premiers à retourner sur l’atoll pour y effectuer des prélèvements scientifiques. Je n’ai toujours aucun équipement de protection contre les radiations, à la différence des ingénieurs que je vois sortir du bunker en combinaison. (...)
À 25 ans, je développe un cancer des testicules qui me rend stérile. À l’approche de la quarantaine, j’ai un cancer du foie. Avec un médecin, je commence à faire le rapprochement avec les essais nucléaires. J’apprends aussi que certains camarades de mon unité sont décédés d’un cancer. En 2006, j’ai un cancer de la gorge. En 2010, le Parlement vote la loi Morin, qui met en place une procédure d’indemnisation pour les personnes atteintes de maladies cancéreuses considérées comme radio-induites et résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants. Je veux me faire reconnaître comme l’une d’elles. C’est un nouveau parcours du combattant qui débute. Ma première difficulté est de prouver que je me trouvais bien en Polynésie en 1968, car, à cause du secret d’État, mon livret militaire a été tronqué. Il est indiqué que je n’ai jamais quitté la base aérienne de Parçay-Meslay. Quand j’étais à Tahiti, j’avais interdiction d’envoyer des cartes postales.
Images d'archives sur la chanson « Taero Atomi » d'Angélo Ariita'i Neufe, écrite en 1995
Jacques Chirac en 1995 annonçant (en anglais) la reprise des « essais » atomiques (à 00:00) : « Nous devons reprendre les tests, c'est ce que nous faisons. Je comprendrais l'émotion si nos tests étaient néfastes pour la région, mais ce n'est pas le cas. »
De Gaulle en 1966 (à 55:24) : « La France estime et aime la Polynésie française aussi, parce que en ce moment même, elle est le siège d'une grande organisation. Toutes les dispositions sont prises, comme vous le savez, pour que cela n'ait aucun inconvénient d'aucune sorte pour les chères populations de la Polynésie. »
Après 17 « essais » en Algérie (4 tirs aériens à Reggane entre 1960 et 1961 et 13 souterrains à In Ecker entre 1961 et 1966), la France allait faire exploser sa première bombe atomique en Polynésie française à Mururoa, le 2 juillet 1966. Une semaine auparavant, le 23 juin 1966, Jean Rostand prononçait un discours à Paris, lors de la réunion publique organisée à la Mutualité par le Mouvement contre l’armement atomique (MCAA), pour protester contre les essais nucléaires français en Polynésie.
Jean Rostand avertissait alors : « Vaines sont nos protestations de ce soir – et cela aussi nous le savons. Nous n’empêcherons rien. Nous n’arrêterons rien. Et nous ne pensons certes pas, comme Cyrano, que c’est bien plus beau lorsque c’est inutile. Mais nous pensons tout simplement que cela est nécessaire, bien qu’inutile. [...] On nous reproche volontiers de faire de la politique. Mais il s’agit de bien autre chose, – de morale et d’hygiène planétaires. On nous accuse d’être trop violents envers l’armement atomique. Je crois que c’est lui qui a commencé... Nos ressentiments sont encore loin du compte. Et si, demain, surviennent de nouveaux Hiroshima, je crois que les survivants feront plutôt grief à notre tiédeur et à notre mollesse ».
193 bombes nucléaires au total allaient exploser entre 1966 et 1986 sur et sous les atolls de Mururoa et Fangataufa.
Du 24 au 28 juillet, visite de Macron en Polynésie :
Les conséquences des essais nucléaires, un sujet délicat pour Emmanuel Macron Reportage de France 24, le 25 juillet 2021
Lors du déplacement d'Emmanuel Macron, les Polynésiens attendent des annonces sur la question sensible des essais nucléaires menés par la France dans l'archipel de 1966 à 1996. Nombre d'entre eux estiment que ces essais ont provoqué une hausse des cancers dans la population et réclament reconnaissance et indemnisations.
Pour la première fois depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron s'est rendu en Polynésie française. Il est arrivé à Tahiti le 24 juillet pour un séjour de quatre jours. S'il a d'emblée exhorté la population à se faire vacciner contre le Covid, le président français est surtout attendu sur l'épineuse question des conséquences des 193 essais nucléaires français menés de 1966 à 1996 sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. Les victimes espèrent un geste d'Emmanuel Macron, alors que nombre d'entre elles ont développé des cancers après ces essais et peinent à être indemnisées.
Pour la visite officielle du président de la République, le Haut-commissaire de la République à Papeete a pris un arrêté afin d'interdire les manifestations, pourtant préalablement déclarées, des organisations antinucléaires.
Avant un déplacement cet été à Papeete, le président Emmanuel Macron a convoqué une table ronde les 1er et 2 juillet pour évoquer la reconnaissance des souffrances et les réparations des essais nucléaires français en Polynésie. Il s'agissait surtout de clore le débat ouvert par les repercussions de l'enquête de Disclose et Interprt.