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Les déchets nucléaires issus
des centrales et le projet CIGEO

par Élisabeth BRENIÈRE
avec la participation de Marie-Christine GAMBERINI

 

 

CERTAINS OPPOSANTS À CIGEO proposent des alternatives pour stocker les déchets nucléaires destinés à CIGEO, en particulier l'entreposage à sec de longue durée de ces déchets radioactifs en surface ou en subsurface. Ils cherchent ainsi à répondre à la question-piège : Et les déchets qui sont déjà là, qu'est-ce qu'on en fait ?

Or le problème actuel de l'industrie nucléaire en France n'est pas de gérer les déchets existants, mais de dégager de la place dans les piscines de désactivation, en particulier celles de La Hague, pour y placer les nouveaux combustibles usés qu'elle espère produire en prolongeant l'exploitation des vieux réacteurs et en mettant en service de nouveaux EPR (voir « En coulisses, l’État prépare le financement de six nouveaux EPR », Thierry Gadault, Reporterre, 6 nov. 2020).

 

Ces propositions alternatives sont une erreur pour les raisons suivantes :
- Si elles étaient retenues, elles ne se substitueraient pas à CIGEO, mais faciliteraient la prolongation du recours à l'électronucléaire, et par conséquent l'augmentation de la production de déchets radioactifs. Le projet CIGEO serait maintenu comme exutoire définitif. Cela pourrait aboutir à le retarder, mais les délais prévus ne seront pas tenus de toute façon pour d'autres raisons.
- Leur mise en œuvre entraînerait des dégâts, risques et pollutions supplémentaires sur tout le territoire. Cela aggraverait la charge des générations futures en créant de nouveaux sites sources de pollution, à surveiller et à gérer longtemps, tout en justifiant l'augmentation des déchets produits, sans supprimer aucun des risques et pollutions actuels.
 - Elles dresseraient les uns contre les autres tous ceux qui ne veulent pas être menacés par des déchets nucléaires près de chez eux.
- Les alternatives envisagées présentent de graves risques de pollution et de contamination, négligés par leurs promoteurs, qu'il est inadmissible de proposer. De plus, l'entreposage en subsurface, qui nécessite beaucoup de place, est pratiquement irréalisable à l'échelle nécessaire, et en tout cas impossible, pour des raisons hydrologiques, sur les sites des centrales nucléaires, pourtant préconisés par certains.

 

 

 

La problématique des promoteurs du nucléaire

 

À ses débuts, l’industrie nucléaire française a nié le problème des déchets radioactifs. Puis elle a prétendu qu'elle trouverait une solution. Mais d'une part la pression des critiques, d'autre part l'échec de la transmutation ainsi que l'exigence politique d'une prise en charge financière du devenir de ces déchets ont pesé en faveur de la recherche d'une solution de stockage définitif. Il fallait en particulier intégrer dans les coûts du kWh électrique produit les provisions pour les modes de gestion et de dépollution retenus.

Pour la Cour des Comptes, le terme « définitif » a son importance, car aucune solution temporaire ne permet d'évaluer le coût complet de la filière : on ne connaît en effet ni la nature, ni la durée des opérations ultérieures qui incomberont aux générations futures.

Au plan international et auprès des opinions publiques, pour justifier leur choix de plus en plus contesté, les États qui ont développé ou soutenu une industrie électronucléaire autre que marginale ont besoin qu'elle puisse apparaître « propre » et acceptable, surtout s'ils veulent la maintenir.

De nombreuses recherches ont été menées pour neutraliser les déchets nucléaires, mais toutes les solutions envisagées se sont avérées pires que le mal, et il semble de plus en plus sûr qu'il n'y aura pas de solution, du moins pas à un coût économique et énergétique soutenable. Par ailleurs, partout où il y a des matières radioactives, des fuites sont inévitables, qui contaminent l'environnement de façon irréversible. La disparition de la contamination ne peut venir que de la décroissance radioactive naturelle des éléments radioactifs. Or pour les éléments à vie longue, cela peut prendre de 300 ans à des milliards d'années.

Pour que ces déchets arrêtent, au moins théoriquement, de polluer la surface de la terre, la seule modalité définitive actuellement proposée dans le monde est le stockage en couches géologiques profondes, ou enfouissement.

Les autres « solutions » mises en avant par certains, comme le « stockage » à sec en surface ou en subsurface, ne sont que des entreposages provisoires, même s'ils ont parfois pu être qualifiés d'entreposages de longue durée (voir définitions ci-dessous). Leurs promoteurs prétendent que la reprise des déchets resterait possible s'il fallait les reconditionner ou si une meilleure option émergeait. En réalité, plusieurs expériences récentes tendent à démontrer le contraire.

 

 

QUELQUES RAPPELS ET DÉFINITIONS
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1) Un élément radioactif est instable et ne redevient stable (non émetteur de rayonnements de forte énergie dits ionisants) que lorsqu'il a perdu sa radioactivité ou s'est entièrement désintégré en d'autres éléments stables. Ce processus peut être très long (jusqu'à plusieurs milliards d'années) suivant la période de l'élément (temps au bout duquel une quantité donnée de cet élément a perdu la moitié de sa radioactivité). On parle d'éléments à « vie longue » dès que leur période dépasse 31 ans.

2) La plupart des colis de « déchets » nucléaires contiennent un mélange de plusieurs radioéléments, dans des proportions souvent difficiles à évaluer avec exactitude et en évolution constante au fil du temps, au gré de leurs désintégrations et interactions chimiques, pas forcément prévues ni prévisibles.

3) La définition des « déchets » nucléaires varie d'un pays à l'autre. En France, seul 4 % du combustible usé est considéré comme déchets ; les 96 % restants (uranium et plutonium) étant classés « matières valorisables ». Les États qui ne pratiquent pas le retraitement comptabilisent quant à eux la totalité des assemblages de combustible irradié dans les déchets.

4) L'industrie nucléaire distingue les termes de stockage et entreposage. L'entreposage est provisoire, c'est-à-dire qu'il nécessitera une surveillance et au moins une intervention ultérieure, sans laquelle la contamination est certaine. Le stockage est en principe définitif, c'est-à-dire qu'une fois fermé, il est censé ne nécessiter aucune surveillance ni intervention ultérieure. Le stockage peut-être prétendu réversible, c'est-à-dire surveillé pendant un temps limité durant lequel il restera susceptible d'être rouvert après sa fermeture pour notamment en retirer des déchets. Cette notion de réversibilité semble être propre à la France, nous en contestons la réalité. On rencontre aussi la notion d'entreposage de longue durée où la première intervention ne serait pas nécessaire avant un temps assez long.

 

 

Que deviennent actuellement les combustibles usés
des réacteurs électronucléaires français ?

 

Les assemblages de crayons de combustible, qui font plus de 4 m de haut, sont extraits des réacteurs à raison d'un tiers tous les 18 mois environ. Ils sont ensuite immergés pendant au moins 18 mois (30 mois pour le MOX) dans une piscine accolée à chaque réacteur, le temps de refroidir assez pour pouvoir être transportés. Puis il sont placés dans des conteneurs appelés châteaux ou castors, chargés sur des wagons de chemin de fer et expédiés à l'usine de La Hague. Là ils sont à nouveau immergés dans quatre très grandes piscines.

Les combustibles usés à base d'uranium naturel enrichi (UNE) sont refroidis sous eau pendant une dizaine d'années avant de pouvoir être cisaillés et traités afin d'en extraire le plutonium et l'uranium, dit uranium de retraitement (URT). Le plutonium est envoyé à Marcoule pour mélange (8 à 9 %) avec de l'uranium dit appauvri afin de fabriquer du MOX, combustible utilisable dans certains réacteurs nucléaires (24 sur 56 en France, et tous les REP allemands, néerlandais, suisses...). De 1994 à 2013, l'URT a été réenrichi en Russie essentiellement, car la France ne dispose pas de la technologie, pour être utilisé dans la centrale de Cruas. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et l'URT s'entasse à Tricastin, à raison de 1000 tonnes par an. EDF a passé, après appel d'offres, un contrat avec une filiale de ROSATOM (société nationale russe pour l'énergie atomique) pour permettre de reprendre le réenrichissement, de faire baisser les stocks d'URT et d'alimenter à nouveau Cruas à partir de 2023.

Le MOX usé reste en piscine une cinquantaine d'années en attente d'un autre usage éventuel ou de stockage définitif, car il n'est pas réutilisable à ce jour. Le MOX est plus radioactif et plus dangereux que le combustible classique UNE.

Les résidus de retraitement constituent au sens français des déchets nucléaires : ils sont vitrifiés et stockés à La Hague dans des puits de 20 mètres de profondeur en attendant un stockage définitif à CIGEO ou ailleurs. Il y a aussi divers autres déchets de haute ou moyenne activité issus des réacteurs, comme les gaines : ils sont coulés avec du béton dans des conteneurs destinés à être enfouis à CIGEO.

Les autres matières radioactives issues de l'usine de La Hague passent pour « valorisables ».

 

Si EDF continue à faire fonctionner ses centrales nucléaires, l'électricien sera confronté à deux motifs de saturation des entreposages à l'usine de La Hague :

– L'insuffisance des piscines de La Hague, qui réceptionnent les assemblages de combustibles usés : la proportion croissante de MOX les sature car elles étaient dimensionnées pour n'entreposer que 10 à 15 ans de combustible classique avant son retraitement ;

– L'insuffisance du site de stockage des déchets vitrifiés, mais dans une moindre mesure car une récente enquête publique a permis de valider le projet de doubler la capacité d'accueil des déchets vitrifiés HAVL (Haute Activité Vie Longue) à La Hague. Selon Orano, ce projet retarde de 10 ans la saturation au rythme actuel de production de combustibles usés, et donc la mise en service de CIGEO.

 

A contrario, si on arrête le nucléaire, les matières radioactives déjà produites par les réacteurs peuvent encore rester quelques dizaines d'années là où elles sont actuellement gérées. Bien sûr il faut continuer à les surveiller, les piscines et autres équipements devront être entretenus, mais il n'y a pas d'urgence à trouver un lieu de stockage ou d'entreposage plus pérenne, même s'il pourrait être décidé de transférer certains déchets d'un site à un autre pour améliorer la sûreté.

 

 


GOT et PETILLON, Le Baron noir

 

 

 

LES LIMITES DES DIFFÉRENTES OPTIONS
PROPOSÉES POUR LES DÉCHETS

 

 

I - L'ENFOUISSEMENT EN « COUCHE GÉOLOGIQUE PROFONDE »
(plus de 500 m) : en France, c'est le projet CIGEO

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Ce stockage définitif présente énormément de risques à court et très long terme. A priori irréversible, il ne règle en rien les problèmes éthiques puisqu'il ne permet pas d'intervenir en cas de fuites, risques de criticité ou accidents divers. Il représente ainsi un grave danger pour les générations futures, et ce pendant des millénaires.

Tous les projets de stockage définitif réalisés jusqu'à présent se sont soldés par des catastrophes dont on n'est pas encore sorti (voir l’incendie du WIPP au Nouveau-Mexique en 2014, le stockage en anciennes mines de sel en Allemagne, Stocamine en Alsace pour des déchets chimiques…).

Les projets plus récents, mais pas encore mis en œuvre, en Suède et en Finlande (Onkalo), sont des stockages irréversibles. En Suède le projet a été retoqué par la justice en 2019.

Face aux oppositions à CIGEO, la France a inventé le concept de réversibilité temporaire sur cent ans. Ce concept lui est spécifique et n'a, scientifiquement parlant, aucun sens concret. Sa seule justification est politique et vise à faire accepter le projet par les populations locales. Mais la possibilité de récupérer les « colis » de déchets n'est absolument pas garantie : une déformation de colis ou d'alvéole, possible dans de nombreuses circonstances (feu, explosion, infiltration d'eau), peut empêcher toute extraction. Et aucun moyen financier ne sera laissé à nos enfants et arrière-petits-enfants, censés pouvoir retirer ces colis, alors que le faire coûtera dans le meilleur des cas très cher. Ils risquent en outre de ne plus avoir assez de moyens de surveillance pour analyser l'origine des pollutions qui pourraient intervenir.

 

 

II - DES ANTINUCLÉAIRES proposent des alternatives à CIGEO.
Mais est-ce réellement une bonne stratégie ?

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Dans un ouvrage de Benjamin Dessus et Bernard Laponche publié en octobre 2011 (En finir avec le nucléaire, pourquoi et comment) sont évoqués d'une part l'entreposage à sec sur les sites des centrales nucléaires aux USA et d'autre part l'entreposage en subsurface dans le granit. À ma connaissance, cette dernière « solution » n'a pas été expérimentée.

Pluis, on a vu un amalgame des deux qui a débouché sur une proposition de stockage en subsurface sur les sites des centrales nucléaires. Un communiqué d'EELV de 2015 proposait ainsi de privilégier le stockage en subsurface à proximité des sites de production.

Pour sa part, Greenpeace, lors du débat public sur les déchets nucléaires en 2019, a préconisé « l’option qui semble la moins mauvaise à savoir le stockage à sec en subsurface » (en réalité ce serait de l’entreposage de longue durée, dans le langage de l'industrie nucléaire).

Enfin, la synthèse de l'avis de la commission « orientations » du PNGMDR (Plan national des matières et déchets radioactifs), publié en novembre 2020, fait état de la demande de Global Chance, GSIEN, FNE, Greenpeace et Négawatt de la création d'une installation pilote d'entreposage à sec, Global souhaitant que ce pilote soit installé sur le site d'une centrale française.

L'intérêt des militants pour ces propositions tient au fait que ces entreposages serait « réversibles », c'est-à-dire que les déchets pourraient ultérieurement être retirés et neutralisés. Examinons cela.

 

1 - Qu'en est-il des entreposages de longue ou courte durée, sous eau ou à sec  ?

Il y a l'entreposage sous eau ou l'entreposage à sec. En sortie de réacteur, seul l'entreposage sous eau, c'est-à-dire en piscine, est possible en raison du fort rayonnement et de la forte chaleur dissipée. En effet, seule l'eau refroidie dans des circuits de réfrigération peut assurer un refroidissement suffisant des matières très radioactives et absorber le rayonnement. Pour les combustibles à l'uranium naturel enrichi, le séjour en piscine doit être d'au moins 5 ans, pour les derniers combustibles MOX, ce pourrait être de l'ordre de 30 ans selon le rapport IRSN 2019-00265.

Au-delà de cette période, certains pays sortent les combustibles usés des piscines pour les entreposer dans des conteneurs métalliques entourés de béton : c'est l'entreposage à sec, qui peut être à l'air libre ou sous hangar.
En extérieur, le refroidissement est passif : il ne nécessite pas de machines, mais est plus difficile à maîtriser. Si l'échauffement s'avère trop important, il n'y a pas moyen d'y remédier et il peut en résulter une fissuration des conteneurs.

Certes il y a des risques de dysfonctionnement des piscines, mais on peut prévoir de nombreux systèmes de secours pour les réduire. Et si une piscine subissait des dégâts au point d'être irréparable, il reste possible de récupérer les barres pour les stocker dans une autre piscine, comme cela s'est fait à Fukushima Daiichi. Le principal risque des piscines est leur vidange, donc la baisse du niveau de l'eau au point que les combustibles usés se retrouvent à l'air libre, c'est-à-dire à sec.

Le principal avantage de l'entreposage à sec est son coût inférieur à celui du refroidissement sous eau, en particulier parce qu'il ne nécessite pas de surveillance, hormis le contrôle d'accès au site. Par contre, l'eau arrête beaucoup mieux les radiations et l'entreposage à sec est plus dangereux pour les êtres vivants à proximité. Les travailleurs doivent donc avoir le statut de travailleurs du nucléaire, avec suivi dosimétrique, et la limite de dose réglementaire sera atteinte plus rapidement que pour l'entreposage sous eau.
Ce n'est pas la piscine qui est dangereuse, c'est la radioactivité qu'elle contient. À radioactivité égale du contenu, à moins d'être laissée à l'abandon, la piscine est plus sûre que l'entreposage à sec.

Le CEA a comparé, pour les deux modes de stockage, la durée d'oxydation des gaines (due à l'activité du combustible usé) qui conduit à leur rupture. La gaine, la première barrière de confinement qui contient les pastilles d'uranium, se perce plus vite à sec que sous l'eau, mais la différence n'est pas très importante.
Cela veut dire que, dans tous les cas, il faut prévoir de reprendre les gaines de combustible irradié au bout de quelques décennies, pour éviter que les radioéléments ne se répandent au fond de la piscine ou du colis. La reprise en piscine paraît praticable. Par contre, en conteneur à sec, il semble qu'actuellement on ne sache pas faire.

De plus le béton soumis à irradiation subit des transformations :

– activation qui crée des éléments radioactifs dangereux, notamment le carbone 14, c'est un des problèmes du démantèlement ;

– radiolyse, qui dégage de l'hydrogène et risque de provoquer des explosions.

L'IRSN également a rendu, en 2018, une étude comparative entre l'entreposage sous eau ou à sec et a étudié les différentes options choisies à l'étranger. Il s'agissait avant tout de savoir si, pour la France, on pouvait éviter la construction d'une nouvelle piscine d'entreposage. En effet une telle piscine était envisagée d'abord à Belleville-sur-Loire, puis à La Hague, pour le MOX usé (que l'on avait pensé utiliser dans les surgénérateurs dont la filière est actuellement abandonnée). Dans sa conclusion, l'IRSN se montre très réticente sur l'entreposage à sec pour ces matières radioactives, sauf si elles sont déjà très refroidies, mais il n'est pas prévu de les enfouir à CIGEO pour l'instant.

De plus, les sites des centrales nucléaires ne sont absolument pas adaptés au stockage des déchets nucléaires car ils se trouvent soit près de fleuves à fort débit, soit près de la mer. Ils sont donc soumis aux risques d'inondation ou de submersion. Les entreposages ne peuvent y être que très temporaires.

 

2 - L'entreposage à sec en surface et l'enfouissement aux USA

Aux USA comme dans presque tous les pays concernés, on a décidé d'enfouir définitivement les déchets les plus radioactifs à vie longue à 600 m sous terre environ. Un site a été trouvé à Yucca Mountain, dans le Nevada, à 160 km de Las Vegas. Ce choix n'était pas du goût des riches propriétaires des activités de la ville qui avaient peur de perdre des clients. Ils ont donc financé à coups de millions de dollars des opposants antinucléaires et écologistes pour attaquer le projet en justice, faire des manifestations, etc. L'objectif a été atteint et le projet a été abandonné, dans l'idée de chercher un autre site. En attendant qu'il soit trouvé, les exploitants ont été autorisés d'abord à augmenter la taille des piscines de désactivation de leurs centrales, puis, comme ça coûtait trop cher, à faire de l'entreposage à sec sur leur site, ou même sur des sites distants, en attendant l'enfouissement de leurs déchets.

Au départ les autorisations d'entreposage étaient données pour 20 ans, mais comme le site d'enfouissement n'était toujours pas trouvé, les autorisations ont été prolongées de 40 ans.

Donc, aux USA, après environ 5 ans en piscine, les assemblages de combustible usé sont emballés dans une enveloppe en acier inoxydable, elle-même protégée par une enveloppe en béton. Il faut préciser qu'il n'y a pas de MOX aux USA et qu'il n'y en aura sûrement jamais, car le projet de fabrication de MOX à Savannah River a été un véritable fiasco sur fond de corruption et a été abandonné.

Profitons-en au passage pour signaler que c’est Areva (puis Orano) qui avait obtenu le marché de construction de ce complexe industriel de recyclage du plutonium militaire américain après avoir corrompu des candidats démocrates, dont Al Gore. Orano s’est fait jeter après avoir fait exploser les coûts et fait dépenser 7 milliards de dollars en pure perte aux Américains.

Certains ont pu préconiser les conteneurs qu’Orano fabrique dans son usine aux USA. Areva avait effectivement gagné un marché de conteneurs de combustibles usés aux USA en prétendant savoir fabriquer des conteneurs qui duraient plus de 100 ans - 300 ans plus exactement (pour pouvoir contenir le Césium 137 dont la demi-vie est de 30 ans - limite qui a permis de le qualifier en déchets « à vie courte », mais qui ne devient pourtant à peu près inoffensif qu’au bout de 300 ans) - ce dont aucun autre constructeur n’était capable. Bizarrement, sur son site internet, Orano ne se vante plus de ces performances exceptionnelles.

À la centrale de San Onofre en Californie, un lanceur d'alerte a signalé un incident intervenu lors de la mise en place d'un conteneur en acier rempli de combustible radioactif usé dans son caveau de béton construit par la société Holtec. Ce type de caveau est prévu pour recevoir différents types de fûts en acier, dont la moitié était des NUHOMS (nom commercial des fûts d'Orano). Une expertise a été conduite par la NRC (autorité américaine de contrôle de la sûreté nucléaire). Une simulation informatique a permis de montrer que tous les fûts en acier étaient endommagés. Pour le fût à l'origine de l'alerte, des fuites de radioactivité ont été mesurées. Un an après, la NRC a sanctionné l'exploitant pour son procédé défaillant.

Huit millions de personnes habitent dans un rayon de 50 miles, et la riche Californie est aussi la première productrice de fruits, légumes et produits laitiers du pays. La société Holtec a déclaré que les fûts endommagés n'étaient pas réparables du fait du haut niveau de radioactivité des déchets contenus. Les riverains de San Onofre s'opposaient à ceux de Las Vegas et voulaient que l'on revienne au projet de Yucca Mountain afin d'enfouir les conteneurs endommagés.

L'affaire a pris une dimension très politique puisque le président Trump a obtenu un vote du Congrès pour remettre en piste le projet de Yucca Mountain qui avait été stoppé par le président Obama. Lors de la dernière campagne présidentielle, les deux candidats ont promis que le proet ne se ferait pas. Mais tous ces Américains influents semblent s'être mis d'accord sur un autre site au Nouveau-Mexique qui est géologiquement moins favorable que Yucca Mountain, mais n'est défendu que par quelques tribus d'Indiens. Les conteneurs y seraient provisoirement entreposés en surface dans leur état dégradé en attendant l'enfouissement. Que fera la gouverneure du Nouveau-Mexique ? Pour l'instant elle est opposée au projet.

Le site d'enfouissement n'étant pas trouvé, malgré des décennies de recherches, le provisoire risque de durer et les Indiens d'être contaminés.

 

3 - L'entreposage à sec en subsurface ou faible profondeur, aspect géologique

L'entreposage de longue durée est censé couvrir une durée comprise entre 100 et 300 ans.

En plaine, les combustibles sont placés dans une excavation à quelques dizaines de mètres de la surface, l'accès se faisant par des puits verticaux.

Cette situation n'est pas du tout satisfaisante dans notre pays car, du fait de la présence d'eau en plaine à faible profondeur, il faudrait de puissants moyens de pompage en continu pour évacuer l'eau qui remplirait en permanence les cavités creusées pour les déchets. Non seulement cela coûterait cher, mais la moindre défaillance de pompage conduirait à une pollution irréversible de zones fortement habitées.

Les sites des centrales nucléaires en bordure de fleuve (toutes sauf quatre) sont absolument à exclure. La nappe phréatique se trouve être la nappe alluviale du fleuve à très faible profondeur, en communication avec le fleuve et même affleurante en cas de crue.

Ces considérations sont également valables pour l'entreposage à sec en surface. Les sites des centrales de bord de fleuve sont situées à quelques mètres à peine des nappes phréatiques alluviales : tout déversement liquide de radioactivité peut donc très rapidement polluer la nappe, qui est presque toujours le réservoir d'eau potable de toutes les villes en aval. Ainsi, une pollution radioactive sur une centrale en bord de Rhône peut priver d'eau potable ou empoisonner toutes les populations de Lyon, Valence, Montélimar, Avignon, Arles... Il en va de même pour les villes des bords de Loire, pour celles en aval de Golfech sur la Garonne, pour Paris et les villes en aval sur la Seine, etc.

Sous une colline ou en rebord d'un plateau, des galeries sont creusées horizontalement.

La présence d'eau est une des principales difficultés à surmonter. L'entreposage en subsurface doit se situer au-dessus des nappes phréatiques. Donc si on veut une distance d'au moins une dizaine de mètres entre les déchets et la surface, il faut choisir des sites où les nappes phréatiques, s'il y en a, sont très profondes.

La roche doit également avoir des propriétés particulières pour assurer la protection physique des galeries, donc une roche dure avec le moins possible de failles. Bien sûr, il faut éviter les zones sismiques. La meilleure roche est le granit parce qu'il est présent à faible profondeur. En France on en trouvera dans le Massif central, en Bretagne, au sud du Cotentin ou dans les Vosges, et encore, avec de fortes réserves sur la capacité du granit à garantir une protection suffisante.

Les centrales près de la mer ne conviennent pas non plus du fait des risques de submersion, d'érosion des côtes près des falaises, ou de proximité de la nappe comme à Gravelines.
La roche sous-jacente n'est pas assez dure non plus.

À supposer que l'on trouve le site idéal, le CEA affirme qu'on ne sait pas construire des installations qui durent plus de 100 ans et que, même si on y arrivait, on ne peut pas garantir la reprise des colis bien qu'une maintenance soit assurée pendant toute leur durée d'exploitation. L'expérience accumulée sur le béton et sur les ouvrages souterrains, même sans présence d'éléments radioactifs, confirme cette conclusion.

Les seuls conteneurs actuellement envisagés sont les mêmes que pour l'entreposage à sec en surface : une enveloppe métallique protégée par une enveloppe en béton. Pour l'instant on ne sait pas fabriquer du béton qui dure plus d'une cinquantaine d'années lorsqu'il est soumis aux intempéries, à plus forte raison s'il est maintenu dans l'humidité. La robustesse des enveloppes en acier inoxydable n'est pas non plus assurée, même pour les déchets radioactifs vitrifiés. Une étude récente de l'Université de l'Ohio publiée en janvier 2020 a montré que les fûts en inox de déchets vitrifiés que l'on croyait inertes s'oxydent rapidement dans des conditions d'environnement salin.

Par ailleurs, un site de stockage en subsurface ne peut pas recevoir beaucoup de déchets, beaucoup moins que CIGEO en tout cas. Il faudrait donc multiplier les sites et, partant, les voies d'accès pour les déchets.

Quel serait l'intérêt d'opter aujourd'hui pour un coûteux entreposage en subsurface, qui ne fait que prolonger de quelques décennies au mieux l'entreposage actuel et nécessite de trouver de nouveaux sites pour les déchets ? Sachant que, de plus, les conteneurs utilisés pour l'entreposage à sec ne permettent pas de surveiller les dégradations des gaines ni d'intervenir en cas de défaillance, comme l'a confirmé l'étude de l'IRSN citée plus haut. Dès lors, en cas de perte d'étanchéité des conteneurs, la seule solution pour limiter les fuites radioactives risque d'être l'enfouissement... s'il est possible d'approcher de ces conteneurs. Sinon, on ne pourra rien faire.

Enfin, l'entreposage en subsurface présente aussi nombre des problèmes soulevés pour CIGEO : risque d'incendie, d'explosion d'hydrogène, d'effondrement de la roche, dégagement de tritium dans l'environnement, etc.

Le stockage à sec, qu'il soit en surface ou en subsurface, n'a donc rien d'une alternative à CIGEO, mais reste un simple entreposage provisoire qui laissera à son terme une ou plusieurs zones contaminées.

 

4 - En France, l'analyse du CEA

Pour répondre à la loi dite Bataille du 31 décembre 1991, le CEA a conduit une étude sur les entreposages à sec en surface et subsurface qui ont fait l'objet d'un rapport à l'Assemblée nationale le 30 mai 2001. Ce rapport concluait que l'entreposage ne pouvait pas constituer une alternative à l'enfouissement, la période d'exploitation au-delà de cent ans n'étant pas démontrée.

Puis des études plus approfondies ont été conduites par l'ANDRA de 2007 à 2012 sur plusieurs concepts de colis de déchets de haute activité et de moyenne activité, y compris celui d'Orano utilisé aux USA, en surface et en subsurface, sans recherche de sites. Ces études ont conclu que les options à faible profondeur n'apportent pas, au regard des critères de polyvalence, modularité et aptitude à la durabilité, d'avantages par rapport aux options de surface ou semi-enterrées. Par contre elles présentent une plus grande complexité en matière de construction et d'exploitation et corollairement davantage d'aléas. Ces études ont été rapportées dans le dossier technique du PNGMDR 2016-2018 (référence ANDRA.398.B sept. 2018).

Ces études ont écarté l'option de la subsurface, mais ouvrent la voie à l'entreposage à sec en surface en alternative à l'entreposage sous eau au-delà des durées pour lesquelles l'eau est incontournable. L'entreposage à sec en surface permettrait ainsi de sortir les plus vieux déchets qui sont actuellement en piscine afin de faire de la place pour les nouveaux déchets que l'industrie nucléaire veut produire. Ainsi, dans la logique d'une poursuite du recours à l'électronucléaire, le nombre de nouvelles piscines à construire pourrait être réduit par ces nouveaux entreposages à sec, qui coûtent moins cher mais prennent beaucoup plus de place.

 

 

III - LA QUESTION PIÈGE :
Et les déchets qui existent déjà, qu'est-ce qu'on en fait ?

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Il convient de répéter que la question du stockage des déchets nucléaires n'a été posée en France avec acuité qu'au moment où le site d'entreposage actuel de déchets nucléaires de La Hague s'est trouvé presque saturé. Jusqu'alors, bien que l'électronucléaire soit en service depuis plus de 50 ans, les déchets ne semblaient guère poser de problème.

Ainsi, pour l'industrie nucléaire en France, l'urgence est bien davantage de dégager de la place pour entreposer de nouveaux déchets que de trouver une solution pérenne pour les déchets radioactifs existants dont on prétend vouloir décharger les générations futures. Si une décision était prise pour un nouvel espace d'entreposage, un afflux de nouveaux déchets viendrait prendre la place des déchets plus anciens transférés dans ce nouveau lieu. L'entreposage initial ne serait pas pour autant assaini, mais au contraire toujours saturé, avec des combustibles irradiés plus récents et plus dangereux.

Lorsque l'industrie nucléaire et notre gouvernement envisagent de construire à l'avenir de nouveaux EPR, ils ne se demandent pas ce qu'ils feront des déchets ainsi produits. Ils savent bien que CIGEO n'est prévu que pour les déchets existants et ceux qui sortiront des centrales déjà en service ou en construction. Ils savent bien également qu'ils n'ont pas d'autres sites en réserve pour enfouir ces futurs nouveaux déchets. En revanche, les déchets existants sont déjà à peu près gérés d'une manière ou d'une autre, qui permet largement d'attendre un moment propice à des décisions plus éclairées.

Donc la question « Et les déchets existants, qu'est-ce qu'on en fait ? » est une question piège pour les opposants, avec trois résultats prévisibles :

– créer une division entre ceux qui voudraient que l'on mette les déchets chez les autres
et ceux qui n'en veulent nulle part ;

– préparer les opposants à accepter une option prétendument moins mauvaise
pour en éviter une qui serait prétendument pire.

– piéger certains opposants, valorisés comme contre-experts, dans des débats techniques alors qu'ils n'auront ni les moyens ni les informations pour contrer les acteurs du nucléaire. Ces pseudo-débats ne serviront qu'à présenter comme contradictoires et démocratiques des décisions déjà prises.

 

Cette question piège soulève celle du renversement des rôles.

Dans un pays démocratique c'est aux citoyens ou à leurs représentants élus de faire les choix politiques et aux fonctionnaires, scientifiques, ingénieurs et experts d'analyser les solutions techniques et les risques associés pour éclairer les citoyens et leurs représentants élus.

On fait exactement le contraire. Des personnes au pouvoir ont choisi de faire du nucléaire sans jamais consulter la population, et même en lui cachant le plus souvent les projets ou les risques associés. Maintenant, à l'occasion des débats et consultations publiques, on demande au public de se prononcer sur des solutions techniques, sans pouvoir remettre en cause le choix du nucléaire et sans avoir ni les informations, ni les compétences, ni les moyens pour étudier ces solutions techniques.

 

 

 

 

 

QUELLE STRATÉGIE DES ANTINUCLÉAIRES
SUR LA QUESTION DES DÉCHETS ?

 

Les éléments exposés ci-dessus montrent qu'il n'existe aucune bonne solution pour les déchets issus des centrales nucléaires. Les antinucléaires doivent marteler cette évidence, et insister sur le fait que, face à cette situation, le bon sens le plus élémentaire consiste d'abord à arrêter d'en produire. Ce point ne doit jamais être perdu de vue : il importe de le rappeler en préalable à tout débat.

Cela implique d'avoir une attitude de critique systématique vis-à-vis de toutes les options proposées, sachant que toute discussion officielle sur ce thème en l'absence de décision d'arrêt vise essentiellement à démontrer que l'on peut continuer sur la voie électro­nucléaire puisqu'on « sait » gérer les déchets.

S'il n'est vraiment pas possible de faire comprendre que la première chose à faire est d'arrêter de produire massivement des déchets radioactifs, il faut analyser pourquoi.

 

En France, trois idées fausses pourraient contribuer à expliquer cette réticence :

1 - Peut-être existe-t-il une solution cachée qui a été mal étudiée, ou que les progrès de la science rendront bientôt disponible.

2 - Si on arrêtait le nucléaire en France, ce serait le black-out, on n'aurait plus d'électricité, et ce serait bien pire que d'avoir à gérer plus tard davantage de déchets.

3 - On a déjà accumulé une telle montagne de déchets radioactifs qu'on n'est plus à quelques années près de production supplémentaire, donc continuons au moins à bénéficier de l'électricité des centrales déjà amorties, en attendant que les renouvelables puissent prendre le relais.

Il peut aussi y avoir d'autres raisons, plus « idéologiques » (sauvegarde du climat, d'EDF, qui serait une entreprise publique, du « fleuron industriel » français et de ses emplois, de l'indépendance nationale...).

À nous de combattre ces idées fausses.

 

AUTES ÉLÉMENTS À GARDER EN TÊTE

 

1 - Tant que l'arrêt du nucléaire n'est pas prononcé, il ne peut y avoir de vraie recherche de moins mauvaise option car l'industrie gardera l'arrière-pensée de faire avaliser la poursuite de l'exploitation des réacteurs moyennant quelques concessions, comme de promettre l'illusoire réversibilité de l’enfouissement.

2 - Tant que des réacteurs fonctionnent, on ne sait pas combien il y aura de déchets à traiter, ni leur nature exacte (MOX, uranium sous diverses formes, déchets dits ultimes sortis de la Hague...). Entre l'hypothèse d'un arrêt immédiat et celle d'un prolongement de l'exploitation des réacteurs jusqu'à 60 ans avec mise en service de nouveaux EPR, le volume total des déchets dits HAVL (haute activité vie longue) peut aller du simple au double. Leur nature serait aussi très différente selon que l'on poursuit ou non le « retraitement » et l'éternel mythe du « bouclage du cycle du combustible » par la surgénération. Or la place potentielle pour les déchets n'est pas extensible.

3 - Tant que le recours à l'électronucléaire perdure, EDF reste l'acteur principal de la gestion des déchets radioactifs. C'est lui qui paye, qui a les informations, qui conçoit et propose, et qui a tout intérêt à faire au moins cher pour améliorer son bilan d'exploitation et poursuivre l'exploitation de ses centrales nucléaires le plus longtemps possible.

Certes, le gouvernement est actuellement dans le même état d'esprit, mais cela peut changer, surtout si le nucléaire devient infinançable (à cet égard, la crise du Covid 19 n'a sans doute pas arrangé la situation de la filière).
EDF ne se comporte plus comme un service public, mais comme une entreprise privée dont le devenir dépend de plus en plus de son résultat financier. Sa situation financière très délicate peut la pousser à réduire ses dépenses au-delà du raisonnable, comme cela se passe déjà pour la maintenance, confiée à des sous-traitants de qui EDF exige un travail mal payé, avec des salariés sous statut précaire incités à bâcler le travail ou même à falsifier les fiches d'intervention, d'autant que les contrôles sont très insuffisants tant du côté d'EDF que de l'ASN.

C'est EDF qui formulera les propositions et l'ASN, l'ANDRA et les autres n'auront qu'à les valider sur la base des dossiers techniques présentés par l'entreprise elle-même. Même lorsque l'ASN fait des prescriptions, il arrive souvent qu'EDF ne se donne pas la peine de les respecter si leur coût est jugé trop élevé. EDF n'est tenue de s'y conformer que « dans la limite de ce qui est raisonnablement possible à un coût économique acceptable, pour une centrale en exploitation ». C'est textuellement une mention que nous trouvons dans des échanges entre EDF et l'ASN et qui rejoint le principe de base de la protection contre les rayonnements ionisants connu sous le nom « ALARA » (As Low As Reasonably Achievable).

EDF est seule à détenir les informations concrètes, sur les niveaux de radioactivité par exemple, et donc sur la qualification des déchets, sur tous les incidents et « événements ». Pour effectuer ses contrôles, l'ASN se base uniquement sur les dossiers que lui fournit EDF : elle le répète chaque fois qu'on lui pose la question car elle ne veut pas endosser la responsabilité qui revient à EDF.

Le public n'a aucun accès aux données effectives. Quand les associations réclament les informations techniques auxquelles elles ont droit au titre de la transparence, EDF fournit des documents caviardés inutilisables, au prétexte fallacieux de secret défense, secret commercial ou propriété intellectuelle. Les avis de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) n'y changent rien. Même le Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN) reconnaît, en off, son impuissance. Le Conseil d'Etat lui-même interprète la loi pour donner raison à EDF.

Tant que le recours au nucléaire perdurera, cette situation ne pourra pas changer, le gouvernement et les institutions qui le servent laisseront EDF décider de tout. Aucun contrôle démocratique n'est possible dans ce cadre.

Ainsi, à l'ICEDA (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés) sur le site du Bugey, aucune personne étrangère au site n'a moyen de vérifier le niveau de radioactivité des déchets avant coulage dans le béton et fermeture du colis. Or une fois le colis fermé, aucun contrôle n'est plus possible. La tentation sera forte de déclasser les colis en trichant sur leur radioactivité, car un colis déclassé coûte beaucoup moins cher à gérer qu'il ne le devrait. Bien sûr ce sera au détriment de la sûreté (voir sur le site stop-bugey.org, rubrique ICEDA).

En Allemagne, par exemple, depuis que la décision de sortie progressive du nucléaire a été prise (2000) puis confirmée (2011) et mise en œuvre, les exploitants ne sont plus aux manettes. Les déchets sont passés sous la gestion des autorités publiques. Certes, elles risquent de vouloir faire au moins cher aussi, mais elles seront davantage obligées de respecter la démocratie, car les élus engagent leurs mandats électoraux. La rentabilité du nucléaire, et donc son devenir, ne sont plus un facteur fondamental de décision. Les autorités publiques en charge des déchets nucléaires reconnaissent que le débat démocratique est beaucoup plus serein et positif depuis que la décision de fermer rapidement les centrales a été définitivement prise.

4 - Les options d'entreposage à sec, prétendument réversibles, arrangent bien EDF, car elles sont beaucoup moins chères que l'enfouissement. En plus, dans l'état actuel des choses, c'est EDF qui les aurait en charge et les contrôlerait comme expliqué plus haut. Ils seront chez eux, sur leurs terrains où personne ne pourra aller voir ; donc ils pourront falsifier, cacher, mentir, etc (nous avons eu récemment un exemple de falsifications des dossiers de fabrication de composants à l'usine Creusot Forge). S’ils arrivent à faire durer ces entreposages jusqu'à la fin de l'exploitation des centrales, c'est gagné, car une fois les centrales arrêtées, ils ne seront plus là pour s'occuper des dégâts, et les coûts de gestion ultérieure des déchets radioactifs ne pourront plus être intégrés dans le coût du kWh nucléaire.

5 - L'entreposage à sec en surface sur les sites de production, tel que proposé par certains anti-nucléaires afin de limiter les transports, n’est destiné qu'aux futurs combustibles usés.
Ceux qui existent déjà sont soit à La Hague en attente de retraitement, soit déjà transformés et entreposés à La Hague, ou bien encore repartis vers d’autres sites. Il n'y a plus aucune raison qu'ils reviennent sur les sites des centrales nucléaires.
De plus, l'entreposage à sec ne se substitue pas à l'entreposage en piscine. Au contraire, il s'y ajouterait. Les piscines de désactivation actuelles des centrales n'ont une capacité de stockage que d'environ 18 mois alors qu'il faut au moins 5 ans de refroidissement sous eau pour les combustibles usés à l'uranium seul et plusieurs décennies pour le MOX usé. Par ailleurs, à volume de combustible égal, l'entreposage à sec prend beaucoup plus de place que le séjour en piscine.

6 - Concernant la notion de « réversibilité » : sauf accident ou mauvaise gestion, l'option qui garantirait le mieux la reprise des combustibles usés au fil des prochaines décennies serait la piscine, car elle permet le meilleur contrôle par analyse visuelle des gaines et analyse de l'eau de refroidissement.

Rappelons qu'il faut comparer ce qui est comparable et donc ne pas confondre une piscine pleine de combustibles usés chauds avec un entreposagesous eau de combustibles usés froids. Si la crainte est la dispersion de matières radioactives, de plutonium notamment, par chute d'un objet dans les piscines, le renforcement de leurs protections externes doit éventuellement pouvoir y pallier. Et n'oublions pas que les dangers visibles sont souvent moindres et plus faciles à déjouer que ceux dont on se croit préservé parce qu'on les a bien glissés sous le tapis et qu'on ne s'en soucie plus.

Mais cette prétendue réversibilité des stockages enterrés avec récupérabilité des déchets réclamée sous l'hypothèse d'un progrès de la science n'est-elle pas qu'une bonne conscience que l'on se donne un peu facilement ? Les générations futures, qui auront déjà bien d'autres soucis vu l'état par ailleurs de la planète, auront-elles les moyens de financer des recherches sur la transmutation de nos déchets nucléaires, et donc de maintenir des compétences, des laboratoires scientifiques et de gros budgets sur ces thèmes ? Le CEA lui-même répond que non, car il ne croit pas à la prolongation d'une filière nucléaire suffisamment forte et a été contraint d'abandonner les recherches en la matière.

Du coup, chaque génération suivante qui n'aura pas trouvé la « solution » risque de toute façon d'être contrainte de laisser à ses enfants des entreposages de déchets de plus en plus délabrés et des territoires de plus en plus pollués par ces déchets nucléaires qu'elle n'aura pas produits.

 

 

Élisabeth BRENIÈRE
avec la participation de Marie-Christine Gamberini
(revu le 7 décembre 2020)

 

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Lien direct : http://collectif-adn.fr/2020/dechets-Cigeo.html

Positionnement du collectif ADN sur les déchets nucléaires du 14 oct. 2020

Contrairement aux promesses initiales de l'industrie nucléaire, aucune manière satisfaisante de régler le problème des déchets radioactifs – à vie longue en particulier – n'a été trouvée depuis trois quarts de siècle. (...)

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